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Che fai tu, luna, in ciel ?

Envoyé par Alain Eytan 
15 octobre 2021, 22:37   Che fai tu, luna, in ciel ?
Le sens, c'est l'entre-deux.


« La dénotation d'un nom propre est l'objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y joignons est entièrement subjective ; entre les deux gît le sens, qui n'est pas subjectif comme l'est la représentation, mais qui n'est pas non plus l'objet lui-même.
La comparaison suivante éclairera peut-être ces rapports. On peut observer la lune au moyen d'un télescope. Je compare la lune elle-même à la dénotation ; c'est l'objet de l'observation dont dépendent l'image réelle produite dans la lunette par l'objectif, et l'image rétinienne de l'observateur. Je compare la première image (l'image réelle produite dans la lunette par l'objectif) au sens, et la seconde (l'image rétinienne de l'observateur) à la représentation ou intuition.
L'image dans la lunette est partielle sans doute, elle dépend du point de vue de l'observation, mais elle est objective dans la mesure où elle est offerte à plusieurs observateurs. On pourrait à la rigueur faire un montage pour qu'ils en jouissent simultanément.
Chaque observateur aura néanmoins une image rétinienne propre. »

Gottlob Frege - Écrits logiques et philosophiques, Sens et dénotation (1892)
"De l'objet visible et du sujet voyant, naît la vision"

Citation d'Augustin (La Trinité, Livre XI), donnée par Duns Scot dans son ouvrage "L'image" (ed. Vrin, avec une longue introduction de Gérard Sondag, 1993).

Je gardais cette citation pour en nourrir la discussion sur Thomas Hardy et la peinture, relancé par Pierre Jean dans un autre fil, mais vous me la "tirez" (comme on le dit des vers du nez) ici, à brûle-pourpoint.
17 octobre 2021, 23:07   Re : Che fai tu, luna, in ciel ?
Superbe citation.
Et vous ne croyez pas si bien dire : Frege et Wittgenstein sont pratiquement de la même famille de pensée. Or les Investigations philosophiques s'ouvrent sur une citation des Confessions d'Augustin.

« Quand ils (les adultes) nommaient une certaine chose et qu’ils se tournaient, grâce au son articulé, vers elle, je le percevais et je comprenais qu’à cette chose correspondaient les sons qu’ils faisaient entendre quand ils voulaient la montrer. Leurs volontés m’étaient révélées par les gestes du corps, par ce langage naturel à tous les peuples que traduisent l’expression du visage, le jeu du regard, les mouvements des membres et le son de la voix, et qui manifestent les affections de l’âme lorsqu’elle désire, possède, rejette ou fuit quelque chose. C’est ainsi qu’en entendant les mots prononcés à leur place dans différentes phrases, j’ai peu à peu appris à comprendre de quelles choses ils étaient les signes ; puis une fois ma bouche habituée à former ces signes, je me suis servi d’eux pour exprimer ma propre volonté. »

Il reste qu'on est tout de même enclin à comprendre la "vision" d'Augustin comme quelque chose qui porte vers le haut, vecteur anagogique ; le sens de Frege, et aussi de Wittgenstein, est un marqueur de finitude, de limitation, de fatale incomplétude sublunaire (puisqu'il était question de lune), car il sert expressément à établir un lien entre les choses, il ne peut qu'être littéralement directionnel entre des étants faisant partie du monde dicible : pour Wittgenstein, le transcendantal ne peut se dire ("il est l'élément mystique"), ce qui veut dire qu'il est hors tout sens.
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