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R. C. : Aussi bien je ne compare pas la dictature de la petite bourgeoisie aux tyrannies attestées du vingtième siècle, plutôt aux inquiétantes utopies orweliennes, avec leur effroyable novlangue, ou bien à ce qu'a entrevu Tocqueville, quand il a commencé à s'affoler des méfaits éventuels de l'égalité poussée jusqu'à son terme logique, c'est-à-dire culturel, socio-culturel. Je suis sûr qu'on pourrait faire des études passionnantes sur la structure de la langue petite bourgeoise, sur son mépris des formes, sur sa passion des syntagmes figés, sur son curieux mélange de grossièreté extrême et de gnangnanerie non moins prononcée, sur son grand travail de simplification générale, qui fait disparaître des façons de vivre et des façons d'être en même temps que des modes syntaxiques et des temps grammaticaux.

Songez par exemple, merveilleusement emblématique, à la disparition progressive de l'impératif, remplacé par l'indicatif («Ludivine, tu dis au revoir et tu montes te coucher ! »). Qu'y a-t-il de plus sympathique, de plus politiquement correct, de moins critiquable, que la rapide tombée en désuétude d'un mode aussi impératif, autoritaire, que l'impératif ? Seulement l'indicatif, quand il s'agit de donner des ordres, est bien plus autoritaire encore, bien plus impératif, bien plus effrayant, pour tout dire, que l'impératif, puisqu'il suppose l'ordre exécuté dans le temps même qu'il est proféré.

Que faut-il penser du lent effacement du futur, noyé dans le présent comme le passé et comme l'histoire : «Je t'appelle demain ! », «On se voit la semaine prochaine ».

Quelle impuissance révèle, quelle scission entre la personne et l'action, entre l'entité et l'état, entre l'être ou la chose et leur verbe, le systématique redoublement du sujet  ? «Le problème il est là».

Je ne fais ici que relever quelques signes en vitesse, des indicateurs, des poteaux, qui marquent qu'on entre en langue petite-bourgeoise - mais la plupart du temps on y est déjà .

En langue petite-bourgeoise, enseignée tous les soirs au "20 heures",  une mère  est invariablement une maman, un professeur  est un prof  ou un enseignant, un enfant  est un gosse, un élève un gamin, une exposition une expo, un voyage  un déplacement, un soldat un militaire, un magasin ou une boutique un commerce, le centre d'une ville un centre-ville, etc. Il faudrait que quelqu'un se dévoue pour écrire un dictionnaire franco/petit-bourgeois, ou ex-bourgeois/nouveau petit-bourgeois, si vous préférez. On y apprendrait que pas facile  se dit pas évident, que déjeuner ou dîner  se disent manger, que les vacances  s'appellent congés.  En langue petite-bourgeoise il y a se traduit par ça fait ou par cela fait, plus recherché, voire par ça fait depuis ;  ou bien par vous avez,  selon qu'il s'agit du temps ou qu'il s'agit de l'espace :

 « Ça fait des dizaines d'années »,

« Cela fait depuis au moins vingt ans»,

« Et pi vous avez aussi le référendum en Espagne, qui lui par contre devrait pas poser problème. ».

Pas de semi-négation, jamais de liaison, surtout après c'est :

«Bon c'est h'évident que »,

«C'que vous avez aussi qui sera pas h'évident-évident, à mon avis »,

Etc.

Quant au silence, il se traduit par c'est vrai que , bien entendu.  Vous voyez, ce n'est pas très compliqué. C'est un sabir qui s'apprend très vite. Nous baignons tous en lui, c'est la seule langue dans laquelle nous sommes immergés. Et aux ultimes parents bourgeois il suffit d'envoyer leur enfant à l'école pour retrouver le soir un parfait petit-bourgeois, qui dira «Ça fait au moins la troisième fois qu'la maîtresse elle a demandé qu'les mamans elles » - tout à fait comme le Dauphin chantait devant ses parents, dans la prison du Temple, les chansons sans-culotte que lui apprenaient ses geôliers.

M. du S. : Décidément il n'est pas très facile de maintenir le cap, dans cet échange Cette petite bourgeoisie dont vous parlez sans cesse, vous ne la définissez jamais.

R. C. : La petite bourgeoisie est la classe qui appelle les mères des mamans.

M. du S. : Proust parle constamment des mamans, au moins dans sa correspondance ! Ma pauvre maman , vous direz à votre chère maman

R. C. : Eh bien, c'était un pionnier ! Il voyait loin. D'ailleurs, pourquoi n'y aurait-il pas des aspects petits-bourgeois chez Proust ? On ne devient pas, à juste titre, l'écrivain fétiche d'une civilisation, d'une époque, sans quelques concessions à l'air du temps.

M. du S. : Ça ne risque pas de vous arriver

R. C. : Je me donne pourtant du mal Tenez : la petite bourgeoisie est la classe qui vous reprend un peu sèchement, et qui vous fait la leçon, ou bien qui ne comprend pas de quoi vous parlez, lorsque vous dites le Ger' au lieu de dire le Gersss.

M. du S. : Gersss est la prononciation régionale.

R. C. : Oui – surtout dans la petite bourgeoisie. D'ailleurs la petite bourgeoisie est la classe régionale, régionaliste, la classe des affaires locales : celle dont le pouvoir a été définitivement consacré par les lois de décentralisation, celle qui gère les départements et les régions, celle qui a pris leur pouvoir aux préfets, dès avant que les préfets ne deviennent des petits bourgeois comme tout le monde.

D'autre part la petite bourgeoisie est la classe qui prononce toutes les lettres, et les prononcent comme elles s'écrivent : en quoi elle est parfaitement fidèle à son horreur du vide et à son idéal de coïncidence généralisée, entre le signe et le son, entre les lettres et le mot, entre le mot et la chose, entre le bruit qu'elle fait et la rumeur du monde. Elle est la classe qui dit Brukcelles, Aukcerre, un jouggg, un lèggg, un fusile, un outile, du persil, Dvorak, Kodali et qui commence à s'agacer, si on s'appelle Camus, qu'on ne l'admette pas tout de suite : «C. A. M. U. ? – C. A. M. U. S. – Ah, Camusss ! » (ben dites-le, au lieu d'nous faire perd'e not' temps!)

M. du S. : Vous reprochez à la petite bourgeoisie de prononcer toutes les lettres, même quand il ne faut pas, et vous voyez là la marque de sa passion supposée pour la coïncidence de tout avec tout ; mais je suis sûr que vous lui reprocheriez aussi de ne pas les prononcer, quand il le faudrait, et de dire quat' pour quatre, Sarte  pour Sartre, i'pleut, i'm'a dit, j'u'ai dit.

R. C. : Sans doute, parce que là c'est avec sa hâte, qu'elle coïncide, avec l'expression d'elle-même, avec sa négligence, la négligence de son expression.

M. du S. : Dites plutôt qu'elle a toujours tort, quoi qu'il arrive et quoi qu'elle fasse !

 R. C. : Mais non, pas du tout. D'ailleurs il ne s'agit pas de lui donner tort ou raison, mais d'essayer de la définir, ou de la circonscrire, à défaut. La petite bourgeoisie est la classe qui dit ce midi, le midi, d'habitude le midi avec Sandrine on mange vite fait à un p'tit restau sympa qu'est en bas du bureau. Ce midi, c'est vraiment la petite bourgeoisie en marche.

M. du S. : On dit bien le matinle soir, ce matin, ce soir - on ne voit pas très bien pourquoi on ne pourrait pas dire le midi, ce midi

R. C. : Vous voyez, vous êtes complètement paranoïaque ! Personne ne vous dit qu'il ne faut pas dire ce midi !  Je vous dis que la petite bourgeoisie le dit, que c'est une de ses expressions typiques, un critère de reconnaissance. Je ne vous dis pas qu'elle a tort. La petite bourgeoisie n'a pas toujours tort. Au contraire : on lui reprocherait plutôt d'avoir trop raison. Voulez-vous cette définition-là : la petite bourgeoisie est la classe qui a trop raison ?

M. du S. : ce qui est une façon d'avoir tort. Mais vous prenez toujours vos exemples dans la langue. Après tout, si la petite bourgeoisie est aussi puissante que vous le dites, elle doit avoir une autre existence qu'entre les mots !

R. C. : Certes. La petite bourgeoisie est la classe qui, par souci d'authenticité, enlève de ses maisons de campagne, pour faire voir qu'elles sont en pierre, les beaux crépis anciens

M. du S. : Quelques-uns étaient affreux !

R. C. : C'est vrai, quelques-uns Bon :  la petite bourgeoisie est la classe qui fait retirer de ses maisons de campagne les crépis souvent magnifiques, et quelquefois non, qui selon la tradition, et depuis toujours, recouvraient l'opus incertum, la pierre meulière, les brique ou le torchis, et qui seuls sont conformes à l'authenticité – ainsi qu'à la beauté, à mon avis : parce que ces espèces de canards plumés, qu'on voir partout, ces façades en fromages de tête Mais il s'agit toujours d'effacer les marques du temps, qui faisaient tout le prix des plus beaux crépis, d'avoir l'air neuf, de donner aux maisons de campagne l'air de pavillons de banlieue, de tout ramener au présent, à la banlieue universelle

M. du S. : Ce que vous dites ne concerne pas beaucoup de monde. Tout le monde n'a pas de maisons de campagne !

R. C. : Bien sûr. Aussi la petite bourgeoisie est-elle aussi la classe qui va passer les fêtes de Noël et du Nouvel An sur les plage de Thaïlande, vient-on d'apprendre. À cet égard le récent raz-de-marée en Asie du Sud-Est, en marge de son caractère tragique,  a été un formidable documentaire sur la petite bourgeoisie en vacances. Vous saviez, vous, que Phuket et Phiphi étaient des sortes de Port-Grimaud délocalisés, de Port–La Nouvelle à toits en portefeuille entrouverts renversés ?

M. du S. : Je ne sais même pas ce que c'est que la petite bourgeoisie - et sur ce point vous ne m'aidez guère - :  j'aurais du mal à décrire ses mœurs.

R. C. : La petite bourgeoisie est la classe qui dit que pour elle, c'est comme si Ludivine avait été assassinée une deuxième fois, quand son meurtrier est déclaré irresponsable ; et qu'elle ne pourra pas faire son travail du deuil. La petite bourgeoisie est la classe du travail du deuil. Les petits-bourgeois sont les travailleurs du deuil (de la culture, de l'histoire, de la beauté – et certainement de la patrie, cette mauvaise morte).

M. du S. : Vous vous moquez du travail du deuil, c'est pourtant un concept freudien, qui a ses lettres de noblesse dans l'histoire de la pensée, et certainement dans la réalité, dans la réalité de la douleur. Vous n'allez pas traiter Freud de petit-bourgeois, tout de même !

R. C. : Non, encore qu'il y ait dans sa personne et dans sa vie de nets aspects petits-bourgeois, comme en toute vie. Mais la petite-bourgeoisie est parfaitement capable de petit-embourgeoiser Freud, Héraclite, Platon, Pascal, Hegel, Lao-tseu ou même Nietzsche. Elle naturalise à tour de bras. Dès qu'elle s'empare d'un concept et le digère, il a l'air d'avoir toujours été petit-bourgeois. «Quand les gens parlent des "droits de l'homme", j'ai toujours plus ou moins l'impression qu'ils font du second degré », dit Houellebecq (ou un personnage de Houellebecq) [1]. Quand les journalistes ou même les victimes parlent du "travail du deuil", j'ai toujours plus ou moins l'impression qu'ils plaisantent, ou alors qu'ils essaient de gagner trois cents points en touchant une fois de plus un bitonio avec la boule, comme au flipper.

M. du S. : Même quand vous quittez les questions de langage, qui vous obsèdent, vous restez toujours du côté du signe, du symbole, de la représentation collective, du tic de langage ou de sentiment.

R. C. : C'est la même chose.

M. du S. : J'aimerais mieux une définition plus politique, plus

R. C. : Plus politique Plus politique Eh bien : la petite bourgeoisie est la classe qui a voté pour Jacques Chirac le 5 mai 2002 - est-ce que cela vous irait ? Et vous voyez bien qu'elle est la classe qui a trop raison, comme je viens de vous le suggérez : car s'il ne s'agissait que de réélire Jacques Chirac, il n'était peut-être pas indispensable de s'y mettre à tant

M. du S. :  Justement, il ne s'agissait pas que  de réélire Jacques Chirac. Et si cette définition-là est juste, les seuls à n'être pas petits-bourgeois, parmi nous, ce sont les électeurs de Jean-Marie Le Pen

R. C. : Ah non, vous avez raison, ça ne va pas Même s'ils sont un côté maudits, qui n'est pas très petit-bourgeois, je suis sûr que les électeurs de Jean-Marie Le Pen comptent une majorité de petits-bourgeois, comme toutes les familles politiques, tous les partis, toutes les associations, tous les groupuscules même les plus excentriques ou marginaux. Je ne doute pas que les petits-bourgeois fassent florès entre les rangs néo-nazis – comme ils ont fait florès entre les rangs nazis, d'ailleurs, et même d'abord : sur ce point je suis tout à fait d'accord avec Brecht.

M. du S. : En somme les petits-bourgeois sont partout

R. C. : Mais c'est ce que je me tue à vous dire depuis le début ! Personne n'est pas  petit-bourgeois. Il n'y aurait pas moyen de survivre ! Ce serait beaucoup trop dangereux ! Ce serait comme de n'être pas assujetti à la Sécurité  sociale, volontairement. Tenez, je fais une dernière tentative : la petite bourgeoisie, c'est l'ensemble des assujettis à la Sécurité sociale.

M. du S. : ce qui ferait du général de Gaulle le père fondateur de la petite bourgeoisie

R. C. : Ah non, on ne peut pas faire ce coup-là au général ! Vous voyez bien, ça ne va jamais. La petite bourgeoisie est la classe qui ne peut pas être définie. Et comment pourrait-elle l'être, puisqu'elle n'a pas de frontières, pas d'extérieur, pas de contraire concevable, pas de pas elle  ? La petite bourgeoisie c'est le monde. Elle est l'appartement où la déesse mène Théodore, dans la Théodicée :

« quand il y fut, ce n'était plus un appartement, c'était un monde,

solemque suum, sua sidera norat. » [2]

Cela dit, ce n'est pas parce que la petite bourgeoisie est impossible à définir qu'elle est impossible à observer, à ressentir, à reconnaître, à identifier, à être. Il suffit de respirer, de se tâter, d'ouvrir les yeux. Il n'est même pas besoin de tourner la tête. Au pire, un miroir fait parfaitement l'affaire. Et je ne vois pas que l'ère petite-bourgeoise, dans l'histoire, soit moins facile à localiser, au moins quant à ses débuts, que l'ère bourgeoise, sur laquelle tout le monde est à peu près d'accord, à deux ou trois siècles près. 1968 est le 1789 de la petite bourgeoisie. Et les "événements de mai" lui font un acte de consécration admirablement approprié, en parfait accord avec sa nature mimétique, son caractère constant d'imitation bon marché (quoique assez coûteuse, souvent) : révolution pour rire, fausse prise de la Bastille, 14 Juillet de fantaisie. 

M. du S. : Ce que j'ai essayé de vous demander, à plusieurs reprises, d'autre part, c'est la raison pour laquelle - selon vous bien sûr -, la petite bourgeoisie, que vous décrivez comme classe au pouvoir, et même en situation de dictature, pourquoi cette petite bourgeoisie serait incapable de secréter en son sein, comme la plupart des autres classes au pouvoir avant elle, une classe cultivée, un public pour la culture ?

R. C. : Je n'ai pas répondu à cela ? C'est pourtant une question passionnante, capitale - même si malheureusement je ne suis pas sûr du tout d'en avoir la réponse, la bonne réponse. Mon intuition est qu'il faut chercher du côté de l'héritage, nous y revoilà, du patrimoine, de la transmission. Voyez déjà la belle ambiguïté des termes, qui semblent nous faire signe,  vouloir nous dire quelque chose, avec leur double sens - malheureusement c'est peut-être quelque chose que nous ne voulons pas trop entendre, que nous ne pouvons pas trop appréhender, qui est contraire à tout ce que nous croyons, à tout ce que nous sommes censés croire, à tout ce qui va sans dire en société petite bourgeoise.

Tout occupée qu'elle est à coïncider rigoureusement avec elle-même, à croire qu'elle est le monde, à croire qu'elle est le temps, qu'il n'y a rien eu avant elle qui ait été autre chose qu'une étape de la longue montée vers cet accomplissement suprême, elle-même, la société petite bourgeoise est moins qu'aucune autre capable de sortir d'elle-même pour voir comment ça fait du dehors. La masse de ce qui n'est pas envisageable par elle, des questions qu'elle s'interdit de se poser, des réponses qui d'emblée sont exclues - mais exclues au point que l'exclusion n'a même pas lieu d'être prononcée -, est sans doute plus forte en elle qu'en n'importe quelle autre société. Je rappelle toujours que Lucien Febvre disait, et démontrait de façon très convaincante, je crois, que Rabelais ne pouvait pas être athée, que ce n'était même pas la peine de s'interroger là-dessus, parce que Rabelais vivait en un temps où l'athéisme n'était pas concevable, au sens le plus littéral du terme [3]. Si la société petite-bourgeoise voulait bien un moment sortir d'elle-même, et considérer dans les autres sociétés autre chose que ce qui l'annonce elle, et si elle consentait à envisager cet autre chose autrement que comme un ramassis de manifestes aberrations (surmontées, Dieu merci, heureusement dépassées grâce à son avènement félix), elle s'aviserait sans mal que toutes les grandes cultures, pratiquement toutes les civilisations, même, ont attaché la plus grande importance à l'hérédité, à la transmission héréditaire,  aux ancêtres, aux morts, au don des morts, comme dit noblement Danièle Sallenave [4]. La culture, en très grande partie, la base culturelle, surtout, ce qui servira ensuite à prendre son envol et à aller voir ailleurs, justement, le point de départ, c'est ce qui vient des aïeux : de ses aïeux à soi ou des aïeux des autres, des aïeux de ceux qui ont la chance d'en avoir, et un enseignement à en recevoir, et à transmettre.

La petite bourgeoisie est moins qu'aucune autre classe disposée à entendre cela, parce qu'elle déteste les aïeux. Elle est une classe neuve, sans aïeux, sans arbre généalogique, qui ne connaît pas le nom de jeune fille de sa mère, ni le prénom de son grand-père.  La nouvelle loi qui libéralise le choix du patronyme, ou du matronyme, devrait encore aggraver ce phénomène, rendre plus inintelligible s'il se peut le passé familial, mieux couper chacun de ses ascendants, du jadis privé, de l'épaisseur du temps comme affaire de famille. La petite bourgeoisie arrive au pouvoir pleine de ressentiment, et n'ayant de l'histoire d'autre souvenir que celui des avanies qu'elle a subies, dans les affreux âges anciens. Ajoutez à cela que la société française contemporaine est multiethnique et multiculturelle, on nous le répète assez, et que parler des aïeux et de leur héritage est bien près d'être une gaffe, la plupart du temps : même «nos ancêtres les Gaulois» ont été priés d'évacuer les manuels scolaires.

M. du S. : La bourgeoisie aussi était une classe neuve, quand elle est arrivée au pouvoir. Toutes les classes qui arrivent au pouvoir sont des classes neuves

R. C. : Pas tout à fait En dépit de la Révolution française, aristocratie et bourgeoisie ont longtemps vécu côte à côte en assez bonne intelligence, malgré tout, l'une formant l'autre, la préparant de plus ou moins bon gré, socialement, culturellement, à son rôle historique. Tandis qu'en 1968, si mon analyse est exacte, la société bourgeoise s'est effondrée d'un coup, et pratiquement sans reste. Il n'y a pas eu de transmission de classe à classe.



[1] Michel Houellebecq, Plateforme, Flaammarion, 2001, p. 84.

[2] qui avait son soleil propre, ses astres propres.  Leibniz, Essais de théodicée, éditions Garnier-Flammarion, Paris, 1969, p. 361.  

[3] Lucien Febvre, Le Problème de l'incroyance au XVIe siècle : la religion de Rabelais, 1942, éditions Albin Michel, 1988, 2003.

[4] Danièle Sallenave, op. cit.

 

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