Au lendemain des événements du 11 septembre 2001 on vit beaucoup
à la télévision française un prêcheur musulman, parmi les plus agités
du so-called "Londonistan", qui déclarait à qui
voulait l'entendre, et c'était alors beaucoup de monde, que la Grande-Bretagne
allait devenir un pays musulman - je ne me souviens plus s'il précisait
les délais.
Ces déclarations retentissantes produisirent un certain effet, sur
le moment, mais à titre de pure provocation ; et comme des fragments
parfaitement farfelus d'une rhétorique toute polémique. Personne ne
les prit pour de sérieuses déclarations d'intention, ni pour l'exposé
objectif d'un projet, encore moins pour de froides prévisions. Avec
quelques années de recul, cependant, elles ne paraissent plus si dépourvues
de vraisemblance - mais ici je ne pense pas spécialement à la Grande-Bretagne
: plutôt à l'Europe en général, et bien sûr à la France.
L'islamisation progressive est d'abord portée par la démographie,
dans un double aspect : l'immigration d'une part, les taux de reproduction
inégaux d'autre part. L'islam, très imparfaitement bien sûr, mais
assez étroitement tout de même, est lié à certains groupes ethniques
ou nationaux qui fournissent depuis trente ans et plus les plus gros
contingents de l'immigration. Les musulmans représentent donc, en
proportion, une partie sans cesse croissante (mais jamais sérieusement
évaluée) de la population. Or cette proportion croît d'autant plus,
et d'autant plus vite, que selon toute apparence (même si c'est impossible
à vérifier) leur taux de reproduction est plus élevé que celui de
la plupart des autres parties de la population.
Les individus ou les groupes qui souhaiteraient contrer ou limiter
cette évolution du rapport de proportion entre musulmans et non-musulmans
au sein de la population globale auraient tout intérêt, naturellement,
à promouvoir le développement démographique de leurs propres "communautés",
et donc des non-musulmans. Mais ce ne serait leur intérêt qu'en ce
dessein particulier, et ce serait nocif de tous les autres points
de vue, globalement nocif. Les peuples les plus avancés économiquement
et culturellement (et par "avancés" nous n'entendons aucun
jugement axiologique) ont bien conscience (serait-ce obscurément peut-être),
et cela malgré les assurances qui leur sont prodiguées de concert
par des experts prétendus et par leurs médias, qu'un développement
démographique indéfini est éminemment nuisible à la planète comme
à eux-mêmes : le danger le plus grave, sans doute. C'est donc par
sagesse, plus ou moins reconnue comme telle, qu'il s'interdisent un
recours - faire toujours plus d'enfants - susceptible de s'opposer
à la croissance parmi eux de la proportion de musulmans, ou de personnes
appartenant par leur origine à la civilisation arabo-musulmane
Ce n'est pas là le seul exemple, loin de là, de points sur lesquels
la sagesse, la vertu, la modération écologiques, juridiques, intellectuelles,
religieuses - sont en fait des éléments de faiblesse pour tous ceux
qui ne souhaiteraient pas que l'islam, à travers les groupes et les
individus qui en sont porteurs ou qui, délibérément ou pas, en constituent
les vecteurs, pèse d'un poids croissant au sein de la société en général,
dans les pays qui comme le nôtre ne sont pas historiquement des terres
d'islam. L'islam est une religion très vivante, très dynamique, très
aimée par ses fidèles et par la plupart des personnes qui sont nées
sous son influence. C'est aussi une religion jeune, et cela doublement
: par son ancienneté moindre que celle des autres religions monothéistes
(elle n'en est qu'à l'âge qui pour le christianisme fut celui des
Croisades), et par la jeunesse de ses fidèles, l'abondance de jeunesse
parmi ses fidèles, telle que l'assure le fort taux de renouvellement
démographique au sein de la plupart des populations musulmanes (fort
taux de renouvellement démographique qui, contrairement à ce que voudrait
la doxa démographico-économique, n'assure en aucune façon, il faut
le remarquer, et même tout à l'inverse, le développement économique
de ces sociétés). Une religion de ce genre l'emportera toujours sur
des religions vieilles et fatiguées - je pense en particulier, bien
sûr, au christianisme, qui lui ne dispose plus, au contraire, dans
un pays comme la France, que d'une emprise très faible sur les groupes
ou sur les individus qui jadis se réclamaient de lui, et justement
ne s'en réclament plus guère.Une façon de contrer la montée de l'islam,
pour ceux qu'elle alarme, serait d'aller ou de revenir au christianisme,
et à un christianisme plus ardent, plus militant, plus sûr de lui,
moins empêtré de scrupules qui sont autant de doutes, et d'entraves
à son extension. Mais la sagesse les en empêche, encore une fois.
S'ils ne sont pas chrétiens, ou s'ils ne le sont plus, ils jugent
déraisonnable, à juste titre, d'adopter une religion ou de revenir
à elle, d'y adhérer, pour des motifs purement "identitaires",
en somme. Et s'ils sont chrétiens ils ne jugent pas sage, ni vertueux,
ni surtout conforme à leur foi et aux enseignements (récents) de leur
Église, de ne pas faire toujours plus de place à "l'autre",
de ne pas tendre l'autre joue, d'avoir la moindre ambition prosélyte
ou seulement résistante.
Plus une religion croit en elle-même, plus elle a de force d'attraction.
Or aucune religion ne croit aussi fort en elle-même que l'islam. Il
est donc vraisemblable que les conversions en sa faveur, qui déjà
ne sont pas rares, iront se multipliant. Aux conversions purement
religieuses, celles qui sont la conséquence et la substance même d'un
acte de foi, s'ajouteront et s'ajoutent déjà les conversions que,
faute d'un terme meilleur, on pourrait appeler "sociétales",
voire "politiques" - lesquelles, d'ailleurs, sont loin d'être
toujours et forcément insincères : conversions de ceux qui aspirent
à la stabilité, à la détermination sinon à l'ordre, à la prise en
main extérieure de leur vie, à la tranquillité, à l'anonymat, à la
conformité avec l'environnement, ou qui sont naturellement portés
(c'est une passion profondément humaine), à rejoindre le camp du plus
fort, du plus résolu, du plus présent, du plus porteur d'avenir,du
plus conforme, lui-même, à l'avenir tel qu'il paraît s'annoncer.
Ce qu'on peut observer dans le domaine religieux, on l'observe encore
plus clairement dans le domaine culturel. Certes l'islam et les "communautés"
qui s'en réclament, ou qui en relèvent de façon plus ou moins directe,
plus ou moins rigoureuse, ne se présentent pas, culturellement, avec
autant d'élan, de simplicité, de détermination et, par voie de conséquence,
d'attrait, qu'ils peuvent en afficher sur le terrain religieux.
Ils pourraient bien sûr se targuer - mais ils ne le font guère : c'est
plutôt les non-musulmans qui le font à leur place - de très hauts
accomplissements passés dans le domaine de l'art, de la connaissance,
de la pensée, de la science, de la littérature, de la poésie, de l'architecture
et de la civilisation en général, de l'art de vivre ; mais ce qu'ils
ont à présenter, et qu'ils présentent, pour la période contemporaine,
moderne, même au sens le plus étendu de ces adjectifs, est
sensiblement moins brillant. En cette occurrence leur force n'est
pas intrinsèque : elle n'est pas en eux-mêmes, elle provient bien
davantage de la faiblesse insigne de tout ce qui leur fait face et
aurait pu leur résister, leur faire barrage, s'opposer à leur avance
ne serait-ce qu'en étant là et en proposant, en constituant,
un autre modèle.
Cette sagesse qu'on a dite, cette vertu, ces scrupules, ils sont
excès de civilisation, sans doute, son épuisement, son dernier mot
mais aussi son au-delà, son retournement exsangue, et finalement sa
négation. L'effondrement culturel de la France, pour s'en tenir à
elle, est lié bien sûr à l'effondrement spectaculaire du système éducatif,
mais il ne se limite pas à lui. La destruction de toute classe cultivée,
l'enseignement de l'oubli, l'imbécilisation auto-génératrice par voie
médiatique, tout cela ouvre un boulevard à l'islamisation des esprits.
Le putride marécage que constitue ce que par dérision, et pour les
humilier toujours davantage, on affecte d'appeler encore de ces noms
dont certains furent jadis prestigieux, culture, musique, art,
artistes, France, français, culture française, émissions culturelles,
chaîne culturelle, activités culturelles, information, télévision,
débats et j'en passe, ce marais malodorant n'a que des avantages
pour l'islam militant, pour ceux qui le professent et pour ceux qui
en relèvent, que ce soit par hasard ou par choix délibéré, et qui
désirent sa plus grande gloire : ils peuvent à bon droit le dénoncer,
et c'est à très juste titre qu'ils peuvent exprimer le mépris où ils
le tiennent («Quoi ? C'est ça, la "culture" "française"
?») ; et ils peuvent à merveille s'en servir, voguer paisiblement
sur lui pour atteindre tous les bords d'une société sans mémoire,
en déliquescence.
Voilà pourquoi je pense que l'islamisation, totale ou partielle,
est la réponse la plus probable à la question : « Que va-t-il se passer
? » Il va se passer que des pans entiers et sans cesse s'élargissant
de la France et de l'Europe vont ressembler de moins en moins à la
France et à l'Europe que nous avons connues (mais que de moins en
moins d'individus auront connus et que la déculturation générale leur
permettra d'oublier, de méconnaître et de calomnier). En revanche
des pans entiers et sans cesse s'élargissant de la France et de l'Europe
ressembleront de plus en plus et ressemblent déjà à ce qui s'observe
dans les contrées où l'islam est traditionnellement implanté ; et
tout particulièrement, bien sûr, s'agissant de la France, dans celles
de ces contrées, à prédominance arabe (ou berbère), d'où sont originaires
la plus grande part des populations transplantées. On peut le conclure
très clairement de l'observation des zones où l'influence ou la présence
"arabo-musulmanes" (pour le dire vite) sont déjà majoritaires
: ce n'est pas le sol ni le "droit du sol" qui détermineront
le type de société qui aura cours ; c'est le type de population. Ce
sont les peuples dans leurs dimensions "cratyliennes", héréditaires,
"civilisationnelles", ethniques, qui font les états de société
; nullement dans leurs dimensions "hermogéniennes", conventionnelles,
administratives, purement nominales : celles-ci, qui peuvent être
fort agissantes sur les individus, Dieu merci, sont à peu près sans
effet sur la réalité sitôt qu'on parle de peuples (et qu'on a tort,
dès lors). "Intégration" il y aura peut-être, mais pas dans
le sens qu'on a cru (qu'on a cru dans un passé qui s'éloigne
très vite, il est vrai).
Justement, lorsque j'évoque des "pans entiers", je l'entends
à la fois en termes de territoires, au sens propre, et de "champs".
C'est le rapport "arabo-musulman" (l'expression est évidemment
très imparfaite, je le répète, et elle demanderait à être sérieusement
"qualified" (précisée, rognée, restreinte) - mais
je ne doute pas que dans l'immédiat elle suffise pour se faire entendre)
- c'est le rapport "arabo-musulman" à l'espace, donc, à
la ville, à l'immeuble, au hall d'immeuble, à la tuyauterie, au trottoir,
au regard, à l'objet, au détritus, au travail, à la femme pour l'homme,
à l'homme pour la femme, au corps, à la vie humaine, à la sexualité,
à l'homosexualité, à la politique, à la loi, à la parole, au pacte
social et ainsi de suite, qui s'imposera de plus en plus largement.
Des villes comme Alger ou Gaza, des pays comme l'Algérie, la Tunisie
ou la Palestine, des scènes de rues comme celles qui s'observent à
Ramallah ou La Mecque, des systèmes économiques et d'économie parallèle,
des taux de chômage, des répartitions de l'aide publique tels qu'en
connaissent le Maroc ou la Jordanie, des modes de gouvernement comme
ceux de la Syrie, de l'Égypte ou encore une fois de l'Algérie, peuvent
sans doute nous donner une beaucoup plus juste idée de ce qui va advenir
en France que l'étude attentive du "modèle danois" ou du
"paradigme blairien".
L'alternative non-exclusive entre violence et gouvernement autoritaire,
selon l'exemple bien connu et rarement infirmé du "despotisme
oriental", la balance toujours à réajuster entre incivilité (ou
l'incivisme) et répression policière, la surpopulation carcérale,
telles seront les formes que revêtira le progressif effacement de
la démocratie, rendue impossible par son empressement maladroit à
se faire le fourrier de ses pires ennemis et des fossoyeurs de la
liberté (ainsi qu'en témoignent à l'envi les succès "démocratiques"
du Hamas en Palestine, ces jours-ci - or nous avons déjà, mutatis
mutandis, notre propre Hamas - ou, à l'inverse, les conjonctures de
la Tunisie, de l'Algérie, de l'Égypte et de nombreux autres pays où
la dictature est le seul rempart des "droits individuels"
contre les menaces "démocratiques" des urnes). Toutefois,
au moins dans un premier temps, c'est sans doute au Liban que la situation
ressemblera le plus, les politiques menées en France depuis trente
ans et davantage paraissant avoir tendu essentiellement à la reconstitution
assez scrupuleuse du type libanais de société (avec quelques éléments
empruntés aussi à l'Irlande du Nord et à l'ex-Yougoslavie, ou évoquant
l'Irak le plus contemporain).
Ces rapprochements inévitables posent évidemment la question sans
doute capitale : celle de la guerre civile. Y aura-t-il ou non une
guerre civile? (l'expression n'étant pas forcément très adéquate,
elle non plus, et appelant elle aussi de sérieuses "qualifications"
(mises au point, réserves, retouches, adaptations ?)). S'il faut absolument
répondre à la question, je dirais que je pencherais plutôt, très légèrement,
pour la négative. L'effondrement moral, intellectuel, culturel et
même l'effondrement, "religieux", que dis-je, "hormonal",
d'une des parties au conflit éventuel l'empêcheront sans doute de
se lancer dans une résolution aussi extrême que le conflit armé ;
et l'engageront très fort à le fuir, même, quel que soit le prix à
payer pour ce désistement. La déculturation systématique dont a fait
l'objet cette partie-là de la population (la plus anciennement sur
place) lui enlèvera toute conscience d'avoir quelque chose à défendre.
Et de fait il ne lui restera pour ainsi dire rien, sinon une liberté
dont elle se dégoûtera volontiers, sachant trop bien lui devoir ce
qu'elle est devenue et que non sans raisons elle déteste, même si
ses raisons de se détester elle-même ne sont pas les bonnes. Le mépris
de soi nous sauvera du bain de sang. L'habitude de la capitulation
fera le reste.