Editorial 8, 11 août 2002
Éclaircissements
Je reçois de M. Rémi Pellet le texte que je place au bout du présent
lien. Je ne dispose pas de son autorisation expresse pour procéder
à cette "publication", mais rien ne serait plus facile que d'y mettre
fin sitôt qu'il en exprimerait le voeu. En attendant il m'a semblé souhaitable
de le laisser exprimer publiquement son point de vue avec tous les arguments
dont il l'étaie, puisqu'il me demande une réponse qui serait incompréhensible
sans ses questions.
Certes, c'est à un débat de lui à moi qu'il me conviait. Cependant,
et si conscient que je sois de la reconnaissance très vive que je lui
dois pour ses combats en ma faveur, j'aime autant ne pas poursuivre
d'échanges personnels et directs avec lui, car je ne puis souscrire
au mélange qu'il pratique-conformément peut-être à des traditions politiques
qui me sont peu familières -entre le commerce d'idées, toujours
éminemment souhaitable, et les considérations les plus étroitement personnelles,
telles que la situation fiscale d'une des parties, sa gestion financière
privée, ses liens d'amitié et les rivalités inconscientes qu'ils sont
censés dissimuler, et jusqu'à ses relations avec les chiens. Je réponds
bien volontiers à ses demandes d'éclaircissements dès lors qu'elles
portent sur des points purement politiques ou idéologiques. Mais je
préfère le faire "publiquement", si tant est que cet adverbe s'applique
bien à ce site relativement intime, ou qui l'était jusqu'à présent.
Je souhaiterais répondre en particulier à la demande impliquée par
les premiers paragraphes du texte que m'envoie Rémi Pellet, paragraphes
qui se lisent ainsi :
« Figure dans l'"Avant-projet du Parti politique" et non pas
dans un des Journaux, ce qui signifie qu'il s'agit là d'une prise
de position réfléchie, mûrie, comme on peut l'attendre d'un intellectuel
qui a le temps, les moyens et le devoir de s'informer, le paragraphe
suivant :
« "le Parti de l'In-nocence demande qu'il soit mis un terme
effectif à l'immigration illégale, et que l'immigration légale soit
rigoureusement limitée aux strictes exigences du droit d'asile. Il préconise
en particulier, pour réduire ou tarir les flux migratoires en direction
de l'Europe et de la France, que l'immigration soit dépouillée de la
plupart des avantages qui font sa raison d'être et la rendent désirable
aux éventuels nouveaux immigrés : ceux-ci ne doivent pouvoir s'attendre,
pendant la durée de leur séjour, qu'à être soignés s'ils sont malades,
conformément aux règles universelles de la médecine et au serment d'Hippocrate,
et à voir leurs enfants recueillis dans des crèches ou dans des écoles,
afin qu'eux n'aient pas à souffrir des initiatives de leurs parents
".
« Le paragraphe concerne donc :
« 1° Les immigrés non européens, puisqu'il est question des
"flux migratoires en direction de l'Europe et de la France " et que
l'on voit mal des Européens immigrer en direction... de l'Europe;
« 2° Les "éventuels nouveaux immigrés" en situation légale
puisqu'il est dit par ailleurs qu'il doit être "mis un terme à l'immigration
illégale ".
« L'"avant-projet " propose donc de supprimer aux immigrés
non européens en situation légale, c'est-à-dire régulière, tous les
"avantages qui rendent désirable" leur séjour sur le territoire national
(ou les "avantages" qui "rendent désirable l'immigration aux éventuels
nouveaux immigrés") »
M. Pellet paraît considérer que l'"avant-projet" de programme est en
quelque sorte gravé dans le marbre, et par exemple qu'il est d'une nature
très éloignée de ce que l'on peut s'attendre à lire dans un simple journal,
écrit au fil de la plume. Et certes cet "avant-projet" ne relève
pas du même genre littéraire qu'un journal : je doute même,
hélas, que le terme de "littéraire" soit bien adéquat en l'occurrence.
Il n'en reste pas moins qu'il s'agit, comme son nom l'indique assez,
d'un avant-projet, par définition soumis à discussions, révisions,
reformulations, ajouts de précisions, c'est-à-dire très précisément
à ce travail collectif que je proposais aux personnes qui veulent bien
fréquenter mon site, aux membres de la Société des Lecteurs, aux habitués
du site de ladite Société et aux participants de son forum de discussion.
C'est précisément ce travail qui a été rendu d'emblée totalement impossible
par la violence pour moi stupéfiante du vice-président de la Société
des Lecteurs, dont les attaques extrêmement personnelles, appuyées exclusivement,
qui plus est, sur des arguments et des informations fournis par moi-même,
m'ont semblé mettre un terme aux échanges avant même qu'ils aient pu
s'ouvrir. Ces échanges, pourtant, auraient pu lever très rapidement
des malentendus comme celui dont procèdent les interrogations actuelles
de Rémi Pellet; malentendus dont je n'exclus en aucune façon, bien sûr,
qu'ils aient pour origine des formulations maladroites, insuffisantes
ou imprécises de ma part, au sein d'un "avant-projet" donné d'emblée
comme soumis à révisions indéfinies.
Rémi Pellet croit avoir compris que l'« "avant-projet" propose
donc de supprimer aux immigrés non européens en situation légale, c'est-à-dire
régulière, tous les "avantages qui rendent désirable" leur séjour sur
le territoire national (ou les "avantages" qui "rendent désirable l'immigration
aux éventuels nouveaux immigrés") » Eh bien je me suis peut-être
mal exprimé (certainement), mais ce n'est pas du tout ce que propose
l'"avant-projet". Ce n'est pas du tout ce qu'ont compris de nombreux
autres lecteurs. Ce qu'a compris Rémi Pellet, il est même seul, à ma
connaissance, à l'avoir compris.
Je suis trop juriste de formation, malgré tous les oublis qui grèvent
ma mémoire dans ce domaine-là, pour proposer des lois rétroactives.
Et j'ai trop le respect de la parole, à commencer par celle de mon pays,
pour suggérer qu'il revienne sur elle un fois qu'il l'a donnée.
L'"avant-projet" propose, pour l'avenir, de limiter l'immigration
en la rendant moins désirable. Il parle de nouveaux immigrés. Les
immigrés qui relèvent d'ores et déjà de l'immigration légale ne sont
donc pas affectés par ce qu'il propose (ou propose de proposer). Ne
serait rendue légale, à l'avenir, que l'immigration qui relève du droit
d'asile (« tout le droit d'asile, rien que le droit d'asile »).
Je rappelle accessoirement que pour rendre l'immigration en général
« moins désirable » et moins nécessaire pour les immigrés
potentiels, l'"avant-projet" propose également un très net accroissement
de l'aide aux pays dits en voie de développement et de considérables
efforts en vue d'une amélioration globale de la coopération internationale
entre pays riches et pays pauvres (ce dernier point à peine esquissé,
mais présent, dans le premier état, tout provisoire, de l'"avant-projet").
L'"avant-projet" ne propose en rien de diminuer les droits des immigrés
en situation régulière. Il propose en revanche de limiter très sensiblement
l'octroi du statut d'"immigré en situation régulière" ("l'immigration
légale") par une corrélation très étroite entre ce statut et le droit
d'asile au sens strict. Il propose (ou, encore une fois, propose de
proposer de proposer) de rendre moins désirable (pour les intéressés)
l'immigration illégale (celle des clandestins) en leur laissant clairement
entendre, avant qu'ils ne soient tentés de devenir des immigrés clandestins,
c'est-à-dire d'émigrer, de quitter leur pays, d'entrer en clandestinité,
qu'ils ne doivent s'attendre à voir satisfaits, dès lors que volontairement
ils viendraient se placer hors du cadre de la loi du pays d'accueil,
et l'enfreindraient, que les droits humains les plus élémentaires, le
droit aux soins médicaux s'ils sont malades et le droit à l'éducation
des enfants, lesquels ne sauraient être tenus pour responsables de l'entrée
en illégalité, ou en clandestinité, de leurs parents.
Les immigrés qui relèvent vraiment du droit d'asile, c'est-à-dire
qui ne peuvent pas faire autrement que de quitter leur pays, ne seraient
pas concernés par ces mesures, ou plutôt par ces limitations, à l'avenir,
des mesures actuelles, ou plutôt par l'annonce de ces limitations (c'est
"l'effet d'annonce", en l'occurrence, qui serait important : aux
potentiels immigrés clandestins, encore dans leur pays, il devrait être
clairement signifié qu'ils ont peu de bénéfice à espérer de l'aventure).
On m'objectera que le sort des immigrés clandestins, tels qu'il est
déjà, est infiniment loin d'être enviable, et ce n'est que trop vrai.
Ce sort affreusement peu enviable fait tout de même envie chaque année
à des dizaines ou des centaines de milliers de personnes, ce qui souligne
encore s'il en était besoin la nécessité d'une aide infiniment accrue
aux pays en voie de développement -et peut-être aussi, d'autre
part, d'un élargissement réfléchi de ce "droit d'intervention" dont
Bernard Kouchner s'était fait jadis le héraut.
Si le sort peu enviable des immigrés clandestins continue de susciter
néanmoins tant de vocations à l'émigration et à l'immigration, c'est
peut-être (mais je suis prêt à recevoir toute sorte de lumières sur
ce point, et à en tenir le plus grand compte) à cause de la notable
ambiguïté qui affecte le "droit d'asile". Je crois comprendre que beaucoup
d'experts considèrent qu'il est fait de ce concept précieux et noble
entre tous un usage infiniment élargi, voire nettement abusif. C'est
sous couvert de droit d'asile que s'opère une abondante immigration
de caractère exclusivement économique, et qu'on pourrait appeler même,
dans d'assez nombreux cas, une immigration "de confort" : c'est-à-dire
dont le principe et le motif est qu'il est plus agréable et plus facile
de vivre ici plutôt que là.
En ce point de la discussion il va sans dire que le plus élémentaire
manuel technique des "Amis du Désastre" recommande vivement de placer
une bonne photographie du pire recoin de Sangate, ou d'un bidonville
bien misérable comme il en abonde, avec la légende ou le commentaire :
Une immigration de confort. Bonne guerre. Néanmoins une "immigration
de confort" ou "d'opportunité" existe bel et bien, de quelque façon
qu'on veuille l'appeler, et souvent elle se pare de références très
abusives au "droit d'asile". Mais si ces références sont abusives ou
pas, précisément, comment le savoir ? Il y faut un long, un très
long examen. Et pendant que ce déroule ce long, ce très long examen -c'est
une chose qui se sait dans les lieux les plus divers de la planète-
, les examinés disposent de droits et d'avantages qui à nous paraissent
peu de choses, peut-être, mais qui en ces lieux les plus divers n'en
constituent pas moins une puissante incitation à toujours plus d'émigration
d'abord, d'immigration ensuite. A quoi s'ajoute que l'examen, quel que
soit son issue, c'est-à-dire quel que soit l'avis rendu par les examinateurs
sur la pertinence ou le défaut de pertinence, en l'occurrence, du concept
de droit d'asile, est rarement suivi de reconductions aux frontières,
semble-t-il : la durée même de l'examen des dossiers, et la durée
du séjour qu'il a impliqué, deviennent des arguments en faveur d'un
séjour prolongé, voire d'un établissement définitif, alors même il n'est
plus question d'une référence au droit d'asile, tourné en dérision par
les usages qui en sont faits.
Un dernier point : mon sévère objecteur me reproche incidemment
de faire une distinction entre les immigrés européens et les autres.
Il a raison : je fais une distinction entre les immigrés européens
et les autres. Dans la mesure où l'Europe, depuis un demi-siècle, devient
progressivement un édifice juridique impliquant une citoyenneté qui
se superpose aux citoyennetés nationales (et c'est un processus à l'égard
duquel je n'ai aucune hostilité, bien au contraire); dans la mesure
aussi où toute citoyenneté me paraît entraîner par définition, pour
les citoyens, un ensemble de droits et de devoirs qui les distinguent
des non-citoyens; dans cette mesure-ci et celle-là, oui, j'estime personnellement
(mais ce point comme tous les autres aurait pu être discuté dans le
cadre de l'élaboration collective, que je proposais, d'un "programme")
que les citoyens de l'Union européenne doivent jouir en France (ce qui
bien entendu est déjà le cas) de droits particuliers (y compris en ce
qui concerne l'immigration) qui les distinguent des non-citoyens de
l'Union européenne. A quoi bon "construire l'Europe", sans cela...
Un correspondant qui m'envoie une très intéressante contribution critique
sur Du sens (contribution qu'il m'autorisera, je l'espère, à
reproduire sur mon site), m'apprend au passage l'existence d'une association
appelée No Border, qui milite, comme son nom l'indique, pour
la suppression de toutes les frontières, et pour le droit de tous les
habitants de la planète à s'établir où ils le souhaitent. Quelques lecteurs
seront peut-être surpris de l'apprendre, je conçois assez bien, je crois,
les objectifs d'une pareille association; et ils me sont beaucoup moins
déplaisants, et me paraissent beaucoup plus respectables intellectuellement,
que toutes les finasseries intermédiaires de tous ceux qui ne veulent
ni ceci ni cela, ni un monde "originé" ni un univers "désoriginé"; ni
le maintien des différentes cultures nationales dans leur autonomie
pleine d'échanges, ni le multiculturalisme unique universel; ni les
civilisations de caractère majoritairement ethnique, ni le village global.
Les tenants de ces arrangement intermédiaires au jour le jour, qui en
fait ne savent pas et ne veulent pas savoir où ils vont, et s'efforcent
seulement de ne pas trop se faire remarquer, de ne pas se faire taper
sur les doigts et de ne pas perdre la faveur des Amis du Désastre, me
paraissent beaucoup moins cohérents que les militants de No Border,
qui d'une situation de fait (la porosité des frontières et des cultures,
la déliquescence des Etats, le métissage croissant, l'individualisation
radicale des destins, etc.) tirent des conclusions que je n'en suis
pas encore tout à fait à partager, mais qui me semblent logiques, et
peut-être inévitables.
Par un mouvement structurel (si j'ose dire) assez semblable de mon
esprit, en mai 1968 j'avais beaucoup de sympathie pour ceux qui voulaient
radicalement changer le monde et j'ai même été en de fréquentes occasions
à leur côté, sur les barricades. Mais à partir du moment où cette énorme
montagne à menacé de n'accoucher plus, fin mai, que des souris François
Mitterrand, Gaston Defferre ou même Pierre Mendès-France, bref d'une
prise de pouvoir par la S.F.I.O., en somme, d'un simple changement de
gouvernement provoqué par la rue, ah non, j'aimais tout de même mieux
la légitimité, alors, de Gaulle, la République, la Constitution, la
loi (et j'ai manifesté sur les Champs-Elysées derrière André Malraux,
le 30 mai).
No Border invite à un changement radical de la conception du
monde. Je trouve ce changement effrayant, mais c'est bien le moins.
Je vois ce qu'il apporterait peut-être de bénéfique, je vois aussi
ce qu'il écraserait définitivement et que j'ai aimé, que j'aime encore.
Il me semble pourtant que je pourrais m'y résigner, non sans mélancolie
ni sans appréhension, mais avec une certaine exaltation, peut-être (et
puis après tout, il ne me reste plus tant de temps à tirer sur cette
planète, probablement; et si vous êtes bien sûr que c'est ainsi que
vous la voulez...). Tandis que le monde des Amis du Désastre, lui, il
n'a pas d'apparence parce qu'il est pur aveuglement et volonté d'aveuglement,
désir de ne pas voir et de ne pas dire, ferme résolution que ce qui
arrive ne soit pas vu, et ne soit pas dit. Je ne pense pas que la plupart
des Amis soient insincères. Je pense au contraire qu'ils sont affreusement
sincères, et que leur sincérité est la forme même de leur aveuglement.
Ils naviguent à vue, ce qui est une façon de se boucher les yeux. S'ils
ne nous disent pas ce qu'ils nous préparent, c'est qu'ils n'en ont pas
la moindre idée. Défranciser la France, eux ? Déseuropéaniser l'Europe ?
Déscolariser l'école ? Banlocaliser la ville et la campagne ?
Jamais de la vie, qu'est-ce que vous allez chercher là ! Il s'agit
d'accompagner doucement les évolutions, voilà tout. Et « dans l'honneur »,
comme aurait dit le maître à penser cacochyme que Le Monde veut
à toute force m'attribuer, malgré mon insistance depuis toujours à me
proclamer Français « par l'appel du 18 juin » (ainsi que le
rappelle opportunément Alain Finkielkraut).
Non, l'honneur n'a rien à voir là-dedans, et le mentionner seulement
ne prêterait qu'à rire. La realpolitik des Amis du Désastre n'est
pas dictée par des considérations d'honneur, mais par cette forme infiniment
abâtardie et sécularisée de l'honneur qu'est l'exigence tautologique
d'être sympa, c'est-à-dire conforme, synchrone avec le temps,
avec ce qui arrive, avec le cours des événements-autant nommer le Désastre
lui-même, mais justement il n'en est pas question. Ne l'appelez jamais
par son nom mais aimez-le comme nous l'aimons, disent ses Amis :
c'est ainsi que vous serez aimables, aimés, ou à tout le moins pourrez
vivre tranquilles. Soyez sympa, il vous en coûtera peu
d'effort, et vous aurez pour vous votre conscience, avec l'estime sans
réserve de la responsable-coordination de la journée-convivialité de
votre immeuble. Il suffit de juger de tout non pas en raison ni en vérité,
ni en fonction des conséquences prévisibles, mais en conformité sentimentale
effusive avec l'assentiment du monde à sa pente la plus douce :
le oui plutôt que le non, l'acceptation plutôt que le
refus, le facile plutôt que le difficile, l'immédiat de préférence au
médiat, la paix plutôt que la guerre, le gentil plutôt que le méchant -et
qu'importe si la paix tout de suite c'est la guerre demain, et si un
moment de gentillesse déclenche des années ou des siècles d'horreur,
et la mort de toute gentillesse avec la paix civile ? Dans pareille
perspective il n'est pas douteux qu'il soit plus sympa
de promettre aux futurs immigrés tous les droits qu'on peut leur promettre,
même s'ils doivent être affreusement déçus et si nous préparons pour
nous-mêmes, ce faisant, un monde dont nous ne savons rien, sinon qu'il
s'annonce sans douceur, sans amour pour la connaissance, et sans respect
pour la personne.
Nous-mêmes, d'ailleurs, quel nous-mêmes ?
Il n'y a plus de nous-mêmes...
Je m'aperçois que j'ai laissé sans réponse la suite du long texte de
M. Pellet. C'est que M. Pellet s'étant engagé d'emblée dans une mésinterprétation
complète des paragraphes qu'il croit commenter, tout ce qu'il en dit
est sans objet. Ainsi il pense que ce qu'il a lu ne peut concerner que
l'immigration légale, puisque l'avant-projet déclare qu'il faut mettre
un terme à l'immigration illégale. Mais à peu près tout le monde est
d'accord, je suppose, au moins officiellement, pour mettre un terme
à l'immigration illégale. L'originalité de l'"avant-projet", si originalité
il y a, était de proposer que l'immigration illégale soit combattue
essentiellement en lui ôtant son caractère éventuellement désirable
pour les virtuels immigrés clandestins. Plutôt que de s'épuiser dans
des traques et des filtrages manifestement vouées à l'échec, mieux vaudrait
faire en sorte, c'est ce qu'insinuait l'"avant-projet", en des formulations
éminemment améliorables, et données comme telles, que l'immigration
ne soit ni une tentation, ni une nécessité.
M. Pellet écrit, et c'est ce qui me fait mesurer l'étendue du malentendu :
« On peut souligner que le paragraphe est d'une très grande précision
sur certains aspects :
« -les immigrés non européens en situation légale ne conserveraient
que le droit d'être " soignés s'ils sont malades " : précision
qui signifie que ces étrangers-là s'ils ne sont pas malades n'auraient
pas le droit au bénéfice des actes de prévention, de vaccination, d'observation
et d'analyse médicales, ce qui n'est absolument pas conforme "aux règles
universelles de la médecine et au serment díHippocrate", et en particulier
au Code de déontologie des médecins français dont l'article 8 dispose
que les praticiens doivent accueillir les patients "quels que soient
leur origine et leur état de santé" (art. 8 : « le médecin
doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience
toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs et
leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance
à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou
leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver
à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toute circonstances
(..) "). En clair, en application de l'"avant-projet " les étrangers
non européens en situation légale n'auraient droit qu'aux services médicaux
d'urgence. »
La « très grande précision » n'est hélas que dans l'interprétation
délirante. Il ne s'agit en aucune façon ici des « immigrés non
européens en situation légale », mais de l'immigration illégale,
des éventuels futurs immigrés clandestins, qu'il s'agit de ne pas encourager.
Et ceux-là bien entendu bénéficieraient de tous les droits impliqués
par le Code de déontologie des médecins français, à ceci près que dans
les circonstances d'un séjour illégal qu'on suppose bref les soins qu'ils
pourraient recevoir relèveraient sans doute plus du "secours d'urgence",
oui, que de la prévention à long terme. De même on imagine que la nature
de leur séjour, par définition illégal, impliquerait plus des droits
à la crèche ou à l'école, pour leurs enfants, que l'accès garanti à
l'université...
Etc. Tout cela n'était pas clair ? Tout cela était proposé précisément
à la clarification et la mise au net -lesquelles furent rendues
impossibles, d'emblée, par le passage au régime peu constructif de l'insulte.
Réponse à Renaud Camus
par Rémi Pellet
Renaud Camus soutient qu'il ne propose la suppression des droits sociaux
autres que "le droit d'être soignés" en cas de
maladie, que pour les immigrés en situation illégale alors
que j'avais compris (comme les autres lecteurs, juristes et/ou normaliens,
que j'avais consultés) qu'étaient visés les immigrés
(non-européens) en situation légale.
Or, dans l'état actuel de la législation, les immigrés
en situation illégale n'ont aucun autre droit "social"
que celui... d'être soignés ! L'attribution des prestations
sociales est conditionnée à la régularité
du séjour, et la loi de 1993, presque dix ans..., a même
renforcé l'obligation des organismes sociaux de veiller au strict
respect de cette exigence.
A le suivre, Renaud Camus ne propose donc que de supprimer... ce qui
n'existe pas.
Certes Renaud Camus parle d'"avantages" et non de "droits
sociaux". En utilisant le terme "droits", je tentais
en fait de donner un semblant de cohérence à son propos.
En effet, outre que la loi ne peut supprimer que des "avantages"
légaux, ce qui s'appelle des droits !, et non pas des situations
de fait (la loi peut réprimer le travail clandestin et donner
des pouvoirs pour cela à la Police et la Justice, elle ne peut
pas décider qu'elle le supprime !), les immigrés en situation
illégale ne peuvent bénéficier d'aucun "avantage",
parce qu'ils n'ont le droit ni de travailler, ni (je le répète)
de recevoir des prestations sociales, ni.... ni de... (la liste est
longue), sauf, lorsqu'ils sont pris, à être nourris et
logés par la Police ou placés dans un lieu de rétention
administrative comme Sangate, avant leur (éventuelle) expulsion.
Je ne crois pas que Renaud Camus veuille supprimer cet avantage là.
Alors, lequel ?
A mes yeux, ne reste donc que l'absurdité d'un projet qui propose
en matière d'immigration des réformes qui n'ont pas d'objet.
Je ne préfère pas commenter ici les autres aspects du
"programme politique " auquel Le Monde consacre aujourd'hui
un article.
Dans cet article, le journal fait état de mes critiques à
l'égard de "l'avant-projet", critiques que je confirme
en même temps que ma conviction de la parfaite innocence du crime
d'antisémitisme ou de racisme dont Renaud Camus est à
nouveau, plus ou moins implicitement, suspecté.
Et je trouve que Le Monde se trompe complètement, en
toute bonne foi sans doute, dans son interprétation du 7ème
éditorial de Renaud Camus et du débat avec Alain Finkielkraut,
qui est reproduit partiellement dans l'article. C'est d'ailleurs la
"découpe" même de l'extrait qui lui fait perdre
toute signification.