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Immigration : le virage à droite

par Sylvia Zappi

Le Monde 28 avril 2003

 

Tenir les deux bouts de la chaîne entre une politique ferme vis-à-vis de l'immigration clandestine et une réponse généreuse d'accueil des étrangers déjà installés. Etre, comme le résume Nicolas Sarkozy, "plus performants et mieux accueillants".

C'est ainsi que le gouvernement Raffarin avait affiché ses intentions en matière d'immigration. Mais les deux récents projets gouvernementaux, la réforme de la loi sur l'entrée et le séjour portée par Nicolas Sarkozy et le programme d'action sur l'intégration présenté par François Fillon, montrent qu'un autre choix a été fait. Et que le fléau de la balance penche plus du côté de la répression et d'une vision assimilationniste des immigrés marquant ainsi un retour des thèmes traditionnels de la droite.

Nicolas Sarkozy a livré sa philosophie de l'intégration alors que les premiers charters de son ministère renvoyaient quelques dizaines d'Africains : "Il y a, parmi les immigrés, ceux qui ont vocation à s'intégrer et ceux qui n'ont pas à être acceptés." A lire son pro- jet de loi, même complété par le nouveau dispositif sur la double peine, c'est clairement la logique d'un contrôle strict des flux migratoires qui prime place Beauvau.

Son projet de réforme vise en effet à durcir les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en reprenant à son compte certaines dispositions imaginées par Charles Pasqua puis par Jean-Louis Debré au poste de ministre de l'intérieur. Contrôle renforcé sur les certificats d'hébergement et possibilité pour les maires de les refuser à l'étranger qui souhaite faire venir un visiteur ; allongement significatif des délais de rétention des étrangers en passe d'être reconduits ; relevé d'empreintes digitales sur les visas pour mieux identifier les clandestins... Les signes d'une volonté de refouler ou reconduire les illégaux sont clairs.

Les premiers charters, organisés sans grande réaction des associations en plein conflit irakien, avaient donné le ton. En renvoyant les étrangers avant même leur entrée officielle sur le territoire, le ministre entendait faire passer un message de fermeté vis-à-vis des arrivées de clandestins ou de ceux à qui la France refuse la demande d'asile.

FRAGILISATION

Mais le projet du ministre de l'intérieur ne s'arrête pas à l'entrée sur le territoire. Il comprend bon nombre de dispositions qui, en renforçant la suspicion, ont pour conséquence de fragiliser les conditions de séjour des étrangers déjà présents sur le sol français. Ainsi, des mesures sont prévues pour lutter contre les mariages blancs, mais aussi contre "les paternités de complaisance" en expliquant que les étrangers en abuseraient pour obtenir des papiers. L'accès au séjour pour les parents ou les conjoints de Français est rendu plus difficile et le droit au regoupement familial restreint. De plus, pour les étrangers déjà en possession d'une carte de séjour temporaire mais souhaitant obtenir une carte de résident, les délais sont allongés.

Autre innovation, pour parvenir à un séjour durable - une carte de résident - il faudra aux étrangers montrer des signes d'une bonne "intégration dans la société française". Le projet reprend l'idée du "contrat d'accueil et d'intégration", mesure phare de la nouvelle politique voulue en ce domaine par François Fillon, et présentée le 10 avril. Ce contrat, comportant une formation linguistique et un enseignement sur les "valeurs de la société française", sera proposé aux nouveaux migrants et sanctionné par une "attestation ministérielle". En 2004, il deviendra obligatoire pour tout aspirant à un titre de séjour et donc généralisé à tous les nouveaux migrants comme aux anciens déjà présents sur le territoire.

L'esprit de la mesure est là aussi sans ambiguïtés : séjourner sur le territoire se "mérite". Sous couvert de "lutter contre le communautarisme", le ministre des affaires sociales entend réaffirmer que "la France est une République avec des règles qui justifient notre communauté nationale". Il est donc, selon lui, urgent de l'inculquer à tous les immigrés, afin de "préserver notre identité nationale et notre pacte républicain", comme il l'a rappelé le 9 avril lors d'une visite à l'Office des migrations internationales.

LE PIÈGE

Le risque est grand cependant que le message perçu par les étrangers soit autre : vous n'avez votre place sur le sol français qu'en donnant des gages. Et ce d'autant que le programme de M. Fillon n'innove guère : en reprenant pour l'essentiel des mesures déjà existantes, comme les parrainages, ou en reportant l'annonce de la création d'une "autorité administrative indépendante contre les discriminations", le ministre a clairement présenté son contrat d'intégration comme le pivot - unique - de sa politique. "En renforçant les conditions d'instabilité du séjour, le projet aboutit à une vraie remise en question de l'intégration", juge Claire Rodier, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti).

De plus, le calendrier parlementaire va imposer la discussion quasi concomitante du projet de loi sur l'asile - qui raccourcit les délais d'examen des dossiers pour mieux lutter contre les "faux demandeurs d'asile"- et de celui sur l'immigration. Un "piège" redouté par les associations qui craignent un amalgame entre migrants et demandeurs d'asile dans la volonté gouvernementale de "lutter contre les fraudes".

Le ministre de l'intérieur avait promis qu'il y aurait "un débat digne" sur l'immigration. Mais, comme le dénonce le Gisti, "la seule image de l'étranger qui se profile est celle du fraudeur, au fait de toutes les combines, cherchant à toute force et sans motif sérieux à entrer en France, à y séjourner, et s'opposant par tous moyens à son éloignement". Nicolas Sarkozy avait accusé ces dernières semaines certaines associations d'entretenir au sujet des expulsions d'étrangers en situation irrégulière "une polémique qui n'a aucun sens" et de participer "à la montée de la xénophobie". Mais, à trop afficher la figure de l'"indésirable" étranger, le gouvernement semble bien reprendre une thématique que l'on croyait avoir vu s'éloigner ces dernières années.

Sylvia Zappi

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 29.04.03
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