27 % des 6,4 millions d'Israéliens ne sont pas juifs
par Stéphanie Le Bars
Le Monde daté du 12 Juillet 2002
D'ici
quinze ans, cette proportion passera à 32 %, ce qui inquiète les tenants
du caractère juif de l'Etat hébreu, qui voudraient voir modifiée la
loi du retour. Depuis deux ou trois ans, près de la moitié des immigrés
venus de l'ex-URSS sont des non-juifs.
Jérusalem
de notre correspondante.
Fin
juin, le gouvernement israélien a repoussé la proposition d'un parlementaire
de droite d'amender la "loi du retour" qui permet à tout conjoint, enfant
ou petit-enfant de juif d'immigrer en Israël et d'y obtenir instantanément
les avantages liés à la citoyenneté israélienne. Le durcissement proposé
visait à limiter l'arrivée sur le territoire de citoyens non juifs.
Mi-juin, un colloque organisé à l'université de Tel-Aviv s'interrogeait
sur "l'assimilation des non-juifs dans la société israélienne et leur
impact sur l'identité collective". La crainte de voir s'émousser le
caractère juif de l'Etat hébreu est permanente en Israël, mais alors
que, jusqu'à présent, le "danger" émanait principalement de la population
arabe demeurée dans le pays après sa création en 1948, il prend aujourd'hui
un nouveau visage.
Une
étude dévoilée lors du colloque du 12 juin par Zeev Hanin, un universitaire
israélien d'origine ukrainienne, et reprise par le quotidien Haaretz,
estime qu'un quart au moins du million d'immigrés venus de l'ex-Union
soviétique au cours des douze dernières années ne sont pas juifs. Ces
chiffres seraient même sous-évalués, selon Mickaël Broadsy, un autre
connaisseur de la communauté "russe" : "Si, au début, seuls 25
% des nouveaux arrivants n'étaient pas juifs, on pense que, depuis deux
ou trois ans, c'est le cas pour la moitié d'entre eux."Environ 300 000
personnes arrivées récemment en Israël seraient donc concernées. Ne
masquant pas son inquiétude, Eli Yishai, ministre israélien de l'intérieur,
représentant du parti religieux ultraorthodoxe Shass, avance même qu'en
2010, "90 % des nouveaux arrivants en Israël ne seront pas juifs". Il
s'est engagé à tout faire pour modifier la législation en vigueur, jugeant
que, dans son état actuel, "la loi du retour contient des éléments qui
mettent en danger le caractère juif d'Israël". Sur ce terrain, le ministre
est suivi par 43 % des Israéliens qui, selon un récent sondage publié
par le quotidien Maariv, voudraient voir interdite l'immigration des
non-juifs et par 57 % qui souhaitent qu'Israël soit "un Etat pour les
juifs". A l'heure actuelle, un quart des quelque 6,4 millions d'Israéliens
ne sont pas juifs (27 %); des spécialistes de la démographie prévoient
que cette proportion passera, d'ici quinze ans, à 32 %, soit un tiers
de la population.
Tant
que la quasi-totalité des non-juifs étaient identifiés comme des Arabes
israéliens (19 % de la population israélienne dont 80 % de musulmans,
11 % de chrétiens et 9 % de druzes), le sujet pouvait être ramené à
une préoccupation démographique.
ANTISIONISTES
Passés
de 160 000 en 1948, à 1,2 million aujourd'hui, ils seront, selon les
prévisions, 1,8 million en 2020, soit plus de 20 % de la population
totale. D'ici vingt ans, 600 000 Arabes israéliens et 900 000 juifs
supplémentaires devraient donc vivre en Israël. Cette évolution, défavorable
à la population juive, est régulièrement agitée comme une menace pour
l'existence d'Israël en tant qu'Etat juif. Pour la contrer, de plus
en plus de voix en Israël n'hésitent pas à avancer que le moyen le plus
sûr de conserver à l'Etat hébreu son caractère juif consiste à envoyer
les "Palestiniens d'Israël", dans les territoires palestiniens.
L'émergence
des "Russes" renouvelle les données du problème. Ne relevant ni de la
loi juive ni des juridictions musulmanes ou chrétiennes, ils se retrouvent
dans un vide juridique propice à de terribles injustices. Ainsi se pose
régulièrement le cas de jeunes soldats "russes", non juifs, morts à
l'armée et qui ne peuvent être inhumés dans les cimetières militaires,
exclusivement juifs.
Selon
Zeev Hanin, cette population se divise en trois groupes. L'un, composé
d'environ 50 000 personnes, exprime le désir de s'intégrer dans la société
juive israélienne. Ces immigrés se seraient volontiers convertis au
judaïsme si les règles en Israël n'étaient pas aussi strictes. Une deuxième
partie peut être considérée comme juive selon la halakha, la loi juive,
mais les dizaines de milliers de personnes qu'elle regroupe se définissent
avant tout comme Russes ou Ukrainiens, n'expriment aucune affinité avec
le judaïsme et s'affichent volontiers athées. Enfin, le groupe le plus
important n'est absolument pas juif, ne tient en aucune manière à l'être
et n'éprouve pas le désir de s'intégrer dans la société juive israélienne.
Une petite minorité de ce groupe est composée de chrétiens pratiquants
et quelques-uns sont issus des Républiques musulmanes de l'ex-URSS.
Certains d'entre eux expriment ouvertement leur antisionisme, voire
leur rejet d'Israël et leur antisémitisme.
Stéphanie
Le Bars
Article
paru dans l'édition du Monde daté du 12 Juillet 2002