La patrie trahie par la République
Par Jean Raspail
Le Figaro 18 Juin 2004
J'ai tourné autour de ce thème comme un maître-chien
mis en présence d'un colis piégé. Difficile de
l'aborder de front sans qu'il vous explose à la figure. Il y
a péril de mort civile. C'est pourtant l'interrogation capitale.
J'ai hésité. D'autant plus qu'en 1973, en publiant Le
Camp des saints, j'ai déjà à peu près tout
dit là-dessus. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon
que je crois que les carottes sont cuites.
Car je suis persuadé que notre destin de Français est
scellé, parce qu'«ils sont chez eux chez moi» (Mitterrand),
au sein d'une «Europe dont les racines sont autant musulmanes
que chrétiennes» (Chirac), parce que la situation est irréversible
jusqu'au basculement définitif des années 2050 qui verra
les «Français de souche» se compter seulement la
moitié – la plus âgée – de la population
du pays, le reste étant composé d'Africains, Maghrébins
ou Noirs et d'Asiatiques de toutes provenances issus du réservoir
inépuisable du tiers monde, avec forte dominante de l'islam,
djihadistes et fondamentalistes compris, cette danse-là ne faisant
que commencer(1).
La France n'est pas seule concernée. Toute l'Europe marche à
la mort. Les avertissements ne manquent pas – rapport de l'ONU
(qui s'en réjouit), travaux incontournables de Jean-Claude Chesnais
et Jacques Dupâquier, notamment –, mais ils sont systématiquement
occultés et l'Ined pousse à la désinformation.
Le silence quasi sépulcral des médias, des gouvernements
et des institutions communautaires sur le krach démographique
de l'Europe des Quinze est l'un des phénomènes les plus
sidérants de notre époque. Quand il y a une naissance
dans ma famille ou chez mes amis, je ne puis regarder ce bébé
de chez nous sans songer à ce qui se prépare pour lui
dans l'incurie des «gouvernances» et qu'il lui faudra affronter
dans son âge d'homme...
Sans compter que les «Français de souche», matraqués
par le tam-tam lancinant des droits de l'homme, de «l'accueil
à l'autre», du «partage» cher à nos
évêques, etc., encadrés par tout un arsenal répressif
de lois dites «antiracistes», conditionnés dès
la petite enfance au «métissage» culturel et comportemental,
aux impératifs de la «France plurielle» et à
toutes les dérives de l'antique charité chrétienne,
n'auront plus d'autre ressource que de baisser les frais et de se fondre
sans moufter dans le nouveau moule «citoyen» du Français
de 2050. Ne désespérons tout de même pas. Assurément,
il subsistera ce qu'on appelle en ethnologie des isolats, de puissantes
minorités, peut-être une quinzaine de millions de Français
– et pas nécessairement tous de race blanche – qui
parleront encore notre langue dans son intégrité à
peu près sauvée et s'obstineront à rester imprégnés
de notre culture et de notre histoire telles qu'elles nous ont été
transmises de génération en génération.
Cela ne leur sera pas facile.
Face aux différentes «communautés» qu'on
voit se former dès aujourd'hui sur les ruines de l'intégration
(ou plutôt sur son inversion progressive: c'est nous qu'on intègre
à «l'autre», à présent, et plus le
contraire) et qui en 2050 seront définitivement et sans doute
institutionnellement installées, il s'agira en quelque sorte
– je cherche un terme approprié – d'une communauté
de la pérennité française. Celle-ci s'appuiera
sur ses familles, sa natalité, son endogamie de survie, ses écoles,
ses réseaux parallèles de solidarité, peut-être
même ses zones géographiques, ses portions de territoire,
ses quartiers, voire ses places de sûreté et, pourquoi
pas, sa foi chrétienne, et catholique avec un peu de chance si
ce ciment-là tient encore.
Cela ne plaira pas. Le clash surviendra un moment ou l'autre. Quelque
chose comme l'élimination des koulaks par des moyens légaux
appropriés. Et ensuite?
Ensuite la France ne sera plus peuplée, toutes origines confondues,
que par des bernard-l'ermite qui vivront dans des coquilles abandonnées
par les représentants d'une espèce à jamais disparue
qui s'appelait l'espèce française et n'annonçait
en rien, par on ne sait quelle métamorphose génétique,
celle qui dans la seconde moitié de ce siècle se sera
affublée de ce nom. Ce processus est déjà amorcé.
Il existe une seconde hypothèse que je ne saurais formuler autrement
qu'en privé et qui nécessiterait auparavant que je consultasse
mon avocat, c'est que les derniers isolats résistent jusqu'à
s'engager dans une sorte de reconquista sans doute différente
de l'espagnole mais s'inspirant des mêmes motifs. Il y aurait
un roman périlleux à écrire là-dessus. Ce
n'est pas moi qui m'en chargerai, j'ai déjà donné.
Son auteur n'est probablement pas encore né, mais ce livre verra
le jour à point nommé, j'en suis sûr...
Ce que je ne parviens pas à comprendre et qui me plonge dans
un abîme de perplexité navrée, c'est pourquoi et
comment tant de Français avertis et tant d'hommes politiques
français concourent sciemment, méthodiquement, je n'ose
dire cyniquement, à l'immolation d'une certaine France (évitons
le qualificatif d'éternelle qui révulse les belles consciences)
sur l'autel de l'humanisme utopique exacerbé. Je me pose la même
question à propos de toutes ces associations omniprésentes
de droits à ceci, de droits à cela, et toutes ces ligues,
ces sociétés de pensée, ces officines subventionnées,
ces réseaux de manipulateurs infiltrés dans tous les rouages
de l'Etat (éducation, magistrature, partis politiques, syndicats,
etc.), ces pétitionnaires innombrables, ces médias correctement
consensuels et tous ces «intelligents» qui jour après
jour et impunément inoculent leur substance anesthésiante
dans l'organisme encore sain de la nation française.
Même si je peux, à la limite, les créditer d'une
part de sincérité, il m'arrive d'avoir de la peine à
admettre que ce sont mes compatriotes. Je sens poindre le mot renégat,
mais il y a une autre explication: ils confondent la France avec la
République. Les «valeurs républicaines» se
déclinent à l'infini, on le sait jusqu'à la satiété,
mais sans jamais de référence à la France. Or la
France est d'abord une patrie charnelle. En revanche, la République,
qui n'est qu'une forme de gouvernement, est synonyme pour eux d'idéologie,
idéologie avec un grand «I», l'idéologie majeure.
Il me semble, en quelque sorte, qu'ils trahissent la première
pour la seconde.
Parmi le flot de références que j'accumule en épais
dossiers à l'appui de ce bilan, en voici une qui sous des dehors
bon enfant éclaire bien l'étendue des dégâts.
Elle est extraite d'un discours de Laurent Fabius au congrès
socialiste de Dijon, le 17 mai 2003: «Quand la Marianne de nos
mairies prendra le beau visage d'une jeune Française issue de
l'immigration, ce jour-là la France aura franchi un pas en faisant
vivre pleinement les valeurs de la République...»
Puisque nous en sommes aux citations, en voici deux, pour conclure:
«Aucun nombre de bombes atomiques ne pourra endiguer le raz de
marée constitué par les millions d'êtres humains
qui partiront un jour de la partie méridionale et pauvre du monde,
pour faire irruption dans les espaces relativement ouverts du riche
hémisphère septentrional, en quête de survie.»
(Président Boumediene, mars 1974.)
Et celle-là, tirée du XXe chant de l'Apocalypse: «Le
temps des mille ans s'achève. Voilà que sortent les nations
qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre
le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface
de la terre, elles investiront le camp des saints et la ville bien-aimée.»
*Ecrivain, romancier.
(1)Le délicat iman de Vénissieux, en vertu du jus soli,
a engendré à lui seul seize petits citoyens français.