Pour l’honneur de Tsahal
par Laurent Schang
Je m’appelle Moshe. Moshe, comme Moshe Dayan. Je suis né
en 1982 à Tel-Aviv. Dans le civil, je me destine à la médecine
mais aujourd’hui, c’est revêtu de l’uniforme réglementaire
de Tsahal, l’armée israélienne, que je prends la parole.
J’aurais pu naître en France. Mes parents, tous les deux d’origine
française, s’étaient connus à Paris où
ils se sont mariés. Ce n’est que plus tard, encouragés
par des cousins de mon père, qu’ils se sont décidés
à venir vivre ici, en terre d’Israël. Ni l’un
ni l’autre ne sont des militants sionistes. Ma mère pleura
beaucoup le soir de l’assassinat d’Yitzhak Rabin et je garderai
longtemps en mémoire le visage de mon père, d’habitude
si paisible, défiguré par le chagrin et la colère
devant son poste de télévision. Mes parents attendaient
la naissance de mon plus jeune frère ; c’est d’un commun
accord qu’ils le prénommèrent Yitzhak, en hommage
au combattant clandestin devenu chef de guerre puis homme de paix. Personne
dans mon entourage n’a applaudi quand nos blindés ont occupé
Jénine, Naplouse et Ramallah. Simplement, dans ma famille, servir
Israël est un devoir et un honneur. Quant à moi, qui y suis
né, c’est une question de fierté.
Que n’a-t-on pas dit sur Israël ? Tout et son contraire.
Un jour David, le lendemain Goliath, on nous accuse de tous les maux.
Nous tendons la main aux Palestiniens : la « communauté internationale
» nous reproche de saboter les négociations de paix par des
conditions soi-disant inadmissibles. Des terroristes nous attaquent sur
notre territoire, le Mossad localise leurs bases et aussitôt, la
même communauté internationale nous blâme pour la brutalité
disproportionnée de notre riposte. Ariel Sharon accepte de reconnaître
l’existence de l’autorité palestinienne sur la Cisjordanie
et que lui répond Yasser Arafat ? Que du côté palestinien
les accords d’Oslo ne sauraient signifier l’arrêt des
violences, aussi aveugles soient-elles. A croire que les médias
occidentaux ne prennent jamais la peine de vérifier leurs sources
d’informations. Savent-ils que deux peuples se côtoient et
souffrent à parts égales en Palestine, qu’Israël
ne pose pas tant les problèmes du Proche-Orient qu’il en
subit les conséquences et en pâtit et qu’en fait de
peuple palestinien il en est deux : les Juifs et les Arabes. Après
le déclenchement et la répression de la première
Intifada en 1987, les journalistes occidentaux ont eu coutume de parler
de « génération perdue » pour les jeunes Palestiniens
arabes. Se sont-ils un seul instant intéressé au sort des
Israéliens mobilisés durant cette période, aux innombrables
traumatismes occasionnés, à leurs séquelles une fois
retournés dans le civil ? Et pour celles et ceux de mon âge,
qui ont grandi dans un pays en état de siège, en proie à
la peur quotidienne, ne peut-on pas aussi parler de génération
perdue ?
Depuis sa création en 1948, l’Etat d’Israël
n’a eu de cesse de donner des gages du bon fonctionnement démocratique
de ses institutions. Notre diplomatie est internationalement reconnue
et nos ambassades représentent les intérêts d’Israël
dans le monde entier. Les ennemis d’Israël dépeignent
un peuple raciste et sectaire. Savent-ils seulement qu’à
la Knesset, notre Parlement, des élus israéliens d’origine
arabe siègent en permanence ? Je les défie d’en dire
autant pour les pays arabes où résident des communautés
juives. C’est un fait que la nation israélienne est de plus
en plus juive et de moins en moins sioniste. L’afflux ces vingt
dernières années d’un nombre croissant de Juifs de
la diaspora, en provenance d’Ethiopie comme de Russie, a modifié
notre rapport à l’unité nationale. La société
israélienne est devenue, par une soudaine accélération
de l’histoire, une société plurielle. Ainsi avons-nous,
pour la première fois peut-être, réconcilié
notre ouverture à l’universel avec notre besoin d’enracinement.
Effrayés par ce succès imprévu, les théoriciens
du jusqu’au-boutisme, fanatiques réfugiés en Syrie
et en Iran, ont fait resurgir le spectre d’un grand Israël,
du Nil au Tigre et à l’Euphrate, du Golfe Persique à
la Mer Rouge. Propagande. Quand bien même, croit-on réellement
qu’Israël a les moyens d’une telle politique ? Tout ce
que nous, Israéliens, réclamons, c’est le droit à
la sécurité, pour nous et pour les nôtres. Les Arabes,
eux, disent vouloir la paix. La « coexistence mutuelle ».
Ce qu’ils ne disent pas en revanche, c’est qu’ils veulent
la paix, certes, mais dans la victoire. De 48 à 73, les pays arabes
ont cru qu’Israël ne résisterait pas à leurs
assauts. Leurs dirigeants pensaient que faire la paix était inutile.
A trois reprises, il leur fallut déchanter. L’OLP et les
pays voisins d’Israël ont fini par reconnaître l’existence
de l’Etat hébreu. Et cependant, Israël reste l’ennemi
officiel de la Syrie et du Liban, de l’Iran, de l’Irak, de
la Libye et de l’Egypte. Tous ont juré la destruction complète
d’Israël. Les gouvernements occidentaux nous enjoignent de
ne pas céder à la dérive obsidionale. De sortir de
notre logique de l’encerclement. A chaque négociation, les
Arabes exigent en contrepartie de la normalisation de nos relations que
nous leurs restituions l’intégralité des territoires
occupés. Pourquoi un tel empressement ? Parce que les Arabes savent
que si nous nous retirons de Gaza et de Cisjordanie, du Sinaï et
du Golan, nous renonçons du même coup à défendre
le plus « petit Israël ». Peut-on imaginer qu’ils
n’en profiteront pas ? Dans les faits, la guerre israélo-arabe,
commencée en 1948, n’est toujours pas terminée.
La mission historique du sionisme avait été de fonder
un Etat juif en Palestine. C’est désormais chose faite. Mais
il faut voir à quel prix ! A l’école, les professeurs
nous ont appris à chérir notre liberté. Tous étaient
mobilisables ou avaient déjà connu le baptême du feu.
On m’a montré les photos de l’arrivée du général
Dayan victorieux au pied du Mur des Lamentations, en 1967. A cet instant
et pour tout un peuple, deux millénaires d’humiliations et
de martyre étaient balayés. Après vingt siècles
d’interruption, Israël reprenait le cours normal de son histoire.
Enfin, nous étions chez nous. Assiégé par le monde
arabe qui lui est hostile, le dos à la mer, Israël continue
de résister parce que nous n’avons nulle part où aller,
et parce que nous avons bâti ce pays de nos mains. J’ai grandi
avec le sentiment qu’un jour, moi aussi, je serais appelé
à servir sous les drapeaux. Dans l’état actuel des
choses, il n’y a pas de négociation possible avec Arafat.
Si demain nous lui concédons Gaza et la Cisjordanie, avec Al Qods
(la partie est de Jérusalem) comme capitale, qui nous dit qu’ensuite
il n’exigera pas tout Jérusalem-Est ? Et pourquoi pas aussi
l’Esplanade des Mosquées ou le mont du Temple ? Déjà,
l’ « Autorité palestinienne » fait mine de ne
plus s’adresser qu’à ses interlocuteurs américains.
On nous dit les alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient. En réalité,
nous ne connaissons que trop bien la duplicité de la diplomatie
américaine. Entre les attentats et le pétrole, leur cœur
balance. Une première fois, Bill Clinton nous a trompé lors
des négociations de Camp David de 2000. Les doléances de
l’administration américaine étaient intolérables,
et pourtant nous avons signé les accords. Clinton rêvait
d’empocher le prix Nobel de la paix. Il n’avait fait mystère
à personne de son ambition et il comptait bien se servir du règlement
du conflit israélo-arabe pour appuyer sa démarche. Gain
des opérations pour Israël : quelques semaines après
la poignée de mains entre Sharon et Arafat, les terroristes reprenaient
leurs tirs de harcèlement sur nos colonies.
Comment s’en étonner, quand on sait que derrière
le Fatah, le parti de Yasser Arafat, s’active une demi-douzaine
de groupes armés (FPLP, Hamas, Djihad islamique, Hezbollah), à
commencer par les « Martyrs » d’Al Aqsa, branche militaire
non-officielle du Fatah dont l’autonomie supposée ne suffit
pas à laver Arafat de toute responsabilité. Pour eux, comme
pour lui d’ailleurs, la Djihad continue. La vérité,
c’est qu’en face de nos négociateurs, il n’y
a pas un chef d’Etat légitime, mais un chef de clan, plus
affairé à diviser son propre camp pour régner qu’à
dialoguer en vue d’une issue raisonnable au conflit. N’est-il
pas riche à millions ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais
un analyste français qui l’affirme dans un de ses livres
(1). Selon lui, la fortune d’Arafat s’élèverait
à dix milliards de dollars, trois fois le PNB de Gaza et de la
Cisjordanie réunis. La collecte de l’impôt révolutionnaire
sans doute… Dans ces conditions, un Etat palestinien aux portes
d’Israël –pire, en surplomb- serait une aberration qu’aucune
frontière étanche jamais ne compensera.
D’après les observateurs européens, la meilleure
façon qu’aurait Israël de manifester sa bonne volonté
serait d’accéder à la demande de retour des «
réfugiés » en Palestine. A-t-on seulement idée
du danger que nous ferait encourir l’arrivée massive de trois
millions et demi de Palestiniens en Israël ? Alors que les attentats
se poursuivent dans nos cinémas, nos supermarchés et nos
bus, que les terroristes bombardent la colonie de Gilo à l’Est
de Jérusalem, nous courrions le risque d’être submergés
? Rappelons tout de même, en ce qui concerne les « réfugiés
», qu’il ne s’agissait pas d’un exil ou d’une
expulsion mais d’un exode volontaire. Les nouveaux historiens peuvent
écrire ce qu’ils veulent, l’exode ne fut pas planifié
par les Juifs mais par les autorités arabes elles-mêmes.
Toujours on nous ressert la rengaine de l’antériorité
des Arabes sur les Juifs. Je répondrai juste ceci : la Bible, Flavius
Josèphe et les historiens romains mentionnaient le nom d’Eretz-Israël
bien avant que l’empereur Hadrien ne décide au IIIème
siècle de l’ère chrétienne de rebaptiser cette
terre insoumise en Palestine. Qu’on vienne après cela nous
reparler du complexe de Massada ! Heureusement que nous l’avions
cultivé, notre esprit de résistance, lorsqu’en 1973,
soit 1900 ans exactement après la chute de Massada, nous avons
dû faire face sur trois fronts aux armées arabes coalisées.
Ariel Sharon était déjà aux commandes de Tsahal à
cette époque. C’est encore lui qui mena à bien l’opération
« Paix en Galilée » en 1982 à Beyrouth. Aussi,
quand la seconde Intifada a éclaté, c’est vers lui
que tous les yeux ont convergé, partisans du compromis et colons,
pour mater la révolte. Tous les grands hommes politiques israéliens
sont passés par Tsahal, à droite comme à gauche.
Benjamin Netanyahu a servi dans les commandos avant d’être
le chef de file du Likoud. Ehud Barak, notre précédent premier
ministre travailliste, fut successivement officier du Seyereth Mathkal,
les SAS israéliens, et commandant en chef des forces armées.
Seule contre tous, la nation israélienne sait qu’en toutes
circonstances elle peut compter sur son armée. Car Tsahal n’est
pas une armée de métier mais un peuple en armes, qui lutte
pour sa survie et rien d’autre. C’est pour cela que les accusations
d’épuration ethnique, de transfert des populations ne tiennent
pas. Bien sûr, il y a des dérapages. Tsahal est une armée
moderne, qui a appris la guerre conventionnelle, pas le nettoyage urbain.
La casbah de Naplouse, où nous devons pénétrer pour
débusquer les terroristes, n’est ni le Golan, ni le Sinaï.
La peur nous tenaille dans les ruelles sombres où les blindés
ne rentrent pas. Les Français qui nous critiquent seraient mieux
avisés de nuancer leurs jugements, eux qui n’en finissent
pas de se morfondre sur la torture « ordinaire » des appelés
d’Algérie.
A ce sujet, j’ai lu qu’un collectif de gauche « Pour
une paix juste et immédiate au Proche-Orient » s’est
constitué à Paris. Beaucoup d’artistes d’origine
juive en sont. Qu’ils viennent donc vivre en Israël avec leur
famille, ces Bedos, Bacri, Kassovitz, Jaoui, Piccoli, Ben Jelloun et autre
Tavernier. Vous êtes quand même drôles, vous les Français.
Vous n’aimez pas les Arabes quand ils sont chez vous, mais vous
aimez encore moins les Israéliens que les Arabes quand ils sont
de l’autre côté de la Méditerranée. Quant
aux militants anti-mondialistes venus s’offrir quelques frayeurs
à Bethléem, qu’ils aillent se promener du côté
de Damas ou de Beyrouth le soir. On verra si les autorités locales
feront la différence entre eux et nous.
Depuis toujours, le peuple juif a été tenu à l’écart
des autres nations. Tantôt on nous relègue, tantôt
on nous accuse d’être « à part ». Race
d’usuriers, de banquiers apatrides, parce que nous sommes le peuple
du Livre on nous considère comme un des très grands peuples
de l’humanité. Alors, à tous ceux que l’existence
d’Israël empêche de dormir, je voudrais dire une chose
: qu’ils sachent qu’Israël, les Israéliens se
moquent de l’opinion publique internationale. Mieux, je dirais que
plus elle est mauvaise, et plus elle les renforce dans leur détermination.
Les Israéliens qui refusent de servir dans les territoires occupés
sont des idiots, comme sont idiots ceux qui déclarent en parlant
de Tsahal que cette armée n’est plus la leur. Non, Israël
n’est pas une création colonialiste. Non, la société
israélienne n’est pas une société coloniale.
Israël doit vivre.
Laurent Schang
(1) Michel Gurfinkiel, La Cuisson du homard. Réflexion intempestive
sur la nouvelle guerre d’Israël. Michalon 2001