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Éditorial n° 26, mardi 18 mars2003

Les charters de M. Sarkozy

 

Ce n'est pas sans quelque hésitation que j'ai suggéré au comité exécutif du parti, qui en a d'ailleurs très opportunément modifié la rédaction, et enrichi le contenu, un communiqué, celui qui porte le numéro 20, par lequel nous approuvons et soutenons la pratique ou la politique actuelle du gouvernement - et plus spécialement du ministre de l'Intérieur, M. Nicolas Sarkozy - consistant à renvoyer chez eux par charter quelques immigrés clandestins et "sans-papiers".

L'hésitation était de deux ordres, en l'occurrence : hésitation pour des raisons "de gauche", si l'on veut, hésitation pour des raisons "de droite" - cela pour parler très grossièrement, dans l'un et l'autre cas, et de manière stéréotypée à l'excès. A l'hésitation, en effet, les raisons "de gauche" avaient un caractère moral, en l'occurrence (n'est-il pas scandaleux de mettre des personnes contre leur gré dans un avion ?) ; tandis que les raisons "de droite", elles, à cette même hésitation à publier ce communiqué, étaient de caractère purement contingent (est-ce que cette politique de charters sert réellement à quelque chose, ou bien n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt ?).

Les charters d'immigrés, on le sait, sont en abomination à toute la bonne pensée. Et Jean-Pierre Chevènement, récemment, qui voulait défiler contre la guerre en Irak, s'est presque fait molester par ses virtuels compagnons de marche, sur le simple rappel de ses charters à lui, du temps qu'il était ministre de l'Intérieur.

Et comment ne pas reconnaître que faire entrer de force des êtres humains, en groupe, dans un moyen de transports ou un autre pour les faire partir vers l'étranger, a les connotations les plus fâcheuses, et suggère, même, les images les plus atroces ? On ne peut pas ne pas penser, ne fût-ce que très lointainement, à d'autres transports forcés, épouvantables en eux-mêmes, et qui ont eu l'issue tragique que l'on sait. Et l'on n'a même pas la possibilité de se dire, afin de distinguer radicalement les deux situations, comme certes on le souhaiterait, que les avions d'aujourd'hui ramènent leurs passagers chez eux, dans leur pays, tandis que les trains de jadis emportaient les leurs vers l'étranger et l'inconnu : cette distinction-là ne vaut pas autant qu'on le voudrait, car il y avait aussi, parmi les transportés des trains auxquels on pense, des malheureux qui retournaient vers le pays qu'ils avaient cru fuir, l'Allemagne ou la Pologne.

On ne peut pas échapper à ces connotations. On ne peut pas se libérer des ces associations d'esprit. Il le faut bien pourtant, car elles ne sont pas pertinentes. Et ceux qui délibérément y feraient appel, de façon plus ou moins explicite, commettraient un incontestable et révoltant abus.

D'abord on veut espérer, on veut espérer très fort, qu'il n'y a pas de mauvais traitements. Et s'il y en a, comme d'aucuns le soutiennent, on ne saurait trop exiger qu'il y soit mis fin immédiatement, et que soient sévèrement sanctionnés ceux des représentants des forces de l'ordre qui s'y seraient livrés.

Cela dit, il serait vain d'espérer que de pareilles opérations se déroulent tout à fait dans le calme. Il est assez probable que certains des clandestins et "sans-papiers" résistent physiquement à l'expulsion, et que c'est physiquement qu'il faut les contraindre à se plier aux décisions prises par l'autorité politique, administrative ou judiciaire : d'où certaines scènes d'affrontement, qui ont pu donner lieu aux inquiétantes rumeurs de violences policières. Si ces rumeurs s'avéraient, s'il était attesté qu'il y a eu de la part de la police de l'air et des frontières des brutalités gratuites, c'est-à-dire outrepassant les strictes exigences de la mise en application de la loi, des règlements et des arrêts de justice, il va sans dire que le parti de l'In-nocence ne pourrait que condamner très fermement ces pratiques, répétons-le, et réclamer le châtiment des coupables.

Ces cas éventuels mis à part, nous approuvons les expulsions, qui seules sont en cohérence avec nos convictions d'une part, avec le respect de la loi d'autre part. Et nous jugeons qu'il est bien préférable d'y procéder de façon groupée, collective - quelles que soient les fâcheuses et abusives connotations qui affectent désormais ce mot de "charters" -, plutôt qu'en plaçant les expulsés entre deux policiers dans des avions de ligne, au risque de troubles à l'ordre public pendant les vols, de dérangement sérieux pour les autres passagers et de menaces pour la sécurité des vols.

Ce que nous souhaiterions, bien sûr, c'est que ni l'une ni l'autre méthode, ni aucune de celles auxquelles il est fait appel pour renvoyer dans leurs pays clandestins et "sans papiers", ne soient nécessaires. Et nous estimons que les sommes considérables qui sont dépensées pour rapatrier par un moyen ou par un autre, parfois à l'autre bout du monde, des personnes qui se sont mises délibérément hors de nos lois, et qui ont décidé de les défier, seraient infiniment mieux employées à tâcher d'aider dans leur pays ces contrevenants à notre droit, ou certains de leurs compatriotes. Les Français ne cessent de recevoir des appels au secours d'associations caritatives qui les assurent qu'avec quarante euros par mois ils peuvent sauver des enfants du tiers monde ou améliorer sensiblement leur existence, voire la transformer. Songe-t-on au nombre de requêtes de cette sorte qui pourraient trouver une réponse favorable grâce aux fortunes dilapidées en navettes ruineuses pour tout le monde, mais surtout pour l'État et pour le contribuable ?

Nous en sommes convaincus depuis longtemps : le seul moyen de réduire voire d'interrompre le flux immigrationniste est de convaincre les candidats à l'immigration clandestine, et peut-être à l'immigration tout court, qu'ils n'ont rien à gagner à tenter l'aventure. A cette fin - et si l'on nous pardonne d'avoir recours à une formule éculée de la phraséologie politique, mais qui en l'occurrence doit être entendue en son sens le plus plein -, à cette fin il conviendrait d'émettre des messages clairs. Or c'est précisément ce que le gouvernement ne fait pas. Il fait même tout le contraire, à commencer par M. Sarkozy lui-même.

M. Sarkozy renvoie chez eux, et nous l'en approuvons, un très petit nombre d'immigrés clandestins et de "sans papiers". Mais d'une part on sait bien que pour un immigré renvoyé dans son pays, sous l'oeil des caméras de télévision, quatre-vingt-dix-neuf prennent pied, d'abord discrètement, sur le territoire national. D'autre part M. Sarkozy ne cesse de déclarer que la France est «un pays d'immigration», voire qu'elle l'a toujours été, et qu'elle entend le rester parce qu'elle a besoin de nouveaux immigrés. De pareils discours donnent à penser dans le monde que si l'on veut essayer de s'installer en France on a de très bonnes chances de parvenir à ses fins, en dépit de nos lois et pourtant sous leur protection. Et cette conviction est hélas fondée.

Pourtant les discours de M. Sarkozy sur l'immigration et sur sa prétendue nécessité sont faux.

Oh, certes, la France, aujourd'hui, est un pays d'immigration : on ne l'observe que trop - elle risque même, au rythme où vont les choses et les personnes, de n'être bientôt plus que cela. Mais faut-il redire que la France, malgré ce que serinent les Amis du désastre, et ce que répètent après eux, souvent en toute bonne foi, les victimes abusées de leur propagande sans relâche, n'est devenue un pays d'immigration que très tardivement dans son histoire, il y a un peu plus d'un siècle de cela, quand déjà elle avait parcouru, c'est à craindre, la plus belle part et la plus longue de son destin historique, et qu'elle avait amorcé le déclin où nous la voyons gésir à présent ? Et faut-il rappeler qu'au cours de ce gros siècle d'immigration d'abord lente, puis accélérée, l'immigration elle-même a totalement changé et de proportions et de caractère, au point qu'il faudrait sans doute des termes différents pour désigner des phénomènes qui n'ont plus rien à voir les uns avec les autres, ayant changé de nature, comme souvent il arrive, en changeant d'importance numérique ? Alors qu'il s'agissait d'abord pour les immigrés de rejoindre un peuple solidement constitué et de s'intégrer à lui en adoptant sa langue, ses mœurs, ses coutumes, sa culture, sa civilisation et ses lois (lesquelles, par leur haute qualité et par leur efficacité économique et sociale, comptaient aux yeux des étrangers parmi les principales raisons d'immigrer, et d'immigrer précisément là, ici, dans ce pays-ci), il s'agit depuis trente ans, et de plus en plus avec chaque année qui passe, du simple partage progressif d'un territoire donné, que "nous" n'avons plus le droit d'appeler "nôtre" puisque "nous" n'avons plus le droit d'être "nous"[1], aucun groupe n'ayant plus sur ce territoire le moindre privilège sur aucun autre, même pas celui de l'ancienneté, ni le moindre titre à prétendre servir de modèle et de point de référence pour une intégration qui dès lors, si tant est qu'il en soit encore question, revêt une signification tout autre, chacun s'y voyant également requis, y compris les anciens habitants et leur progéniture. Comme le proclame avec le mérite de la clarté le titre d'un livre récent : Nous sommes tous des immigrés. Que d'aucuns n'aillent pas se mettre dans la tête qu'ils pourraient l'être moins que d'autres…

Mais M. Sarkozy, au pied de ses charters, ne se contente pas de dire que la France a toujours été un pays d'immigration, ce qui encore une fois est archifaux. Il entend qu'elle le demeure, ce qui cette fois est archifou.

Est-ce qu'il ne regarde pas autour de lui, cet homme ? Est-ce qu'il ne voit pas ce pays qui enlaidit à vue d'œil, où déjà il n'y a presque plus de campagne, où la banlieue envahit tout, où la violence croît avec la laideur, la bêtise avec l'inculture, la brutalité avec l'ignorance, la vulgarité avec la communication, l'animosité avec la promiscuité, le malaise avec le malheur ? Est-ce qu'il ne se rend pas compte que c'est précisément cela qu'il importe, et qu'il veut importer toujours plus massivement, avec son appel à plus d'immigration encore, même si c'est difficilement concevable : du malheur ?

Les immigrationistes sont atteints de la même folie que la plupart des démographes, les démographes natalistes, les démographes expansionnistes, les démographes Amis du désastre. Et d'ailleurs les uns appuient leur délire sur celui des autres, et seraient tout prêts à faire des échanges - des échanges de populations, car pour eux la population est un bien en soi quelle que soit sa nature [2] , qui n'a pas à entrer en ligne de compte ; et son accroissement est toujours une bénédiction. Ils voudraient que cet accroissement se poursuive sans cesse. Ils ne lui conçoivent pas de limite souhaitable. C'est dire combien il est peu vraisemblable de les voir s'aviser que cette limite souhaitable, il y a beau temps qu'elle est dépassée.

Le France, en un siècle, a vu sa population augmenter de moitié, et doubler en deux. C'est énorme, et les conséquences sur le milieu naturel sont de toute évidence désastreuses. Cependant rien n'y fait : démographes natalistes et immigrationnistes mêlés continuent d'appeler de leurs vœux une augmentation encore plus massive - c'est-à-dire nécessairement plus d'immigration, puisque les Français déjà sur place, eux, plus sages que leurs mauvais guides, savent bien et voient bien qu'ils sont déjà trop nombreux, et ne mettent pas à croître et multiplier l'empressement que voudraient leur inculquer les partisans exaltés d'une densité humaine sans cesse accrue.

Ceux-là n'ont l'œil que sur une donnée : la pyramide des âges. Elle est désastreuse, disent-ils - comme s'il n'était pas parfaitement normal, et souhaitable, qu'après une longue période de très forte augmentation démographique la volonté plus ou moins consciente, au sein d'un peuple, d'une stabilisation voire d'une réduction de son importance numérique se traduise d'abord par un vieillissement ! Mais pour les champions de l'augmentation perpétuelle de population, le vieillissement n'est pas tolérable : d'abord parce qu'ils partagent cette horreur de l'âge qui est de très loin, dans notre société, le plus proliférant, le plus agressif et le moins combattu de tous les racismes ; ensuite parce qu'ils refusent d'envisager les adaptations économiques et sociales que ce vieillissement indéniable rend nécessaires, et que rendent parfaitement possibles les progrès de la médecine.

A ces adaptations nécessaires et possibles, telles que le recul de l'âge de la retraite, démographes et natalistes préfèrent mille fois la solution de facilité qui consiste à accueillir sur le territoire national encore et encore de nouveaux immigrés. Peu importe que ce soit là envisager ces éternels nouveaux immigrés sinon comme du bétail du moins comme du pur matériel humain, puisqu'on entend les importer, ou du moins les laisser entrer, à seule fin d'utiliser leurs forces de travail et leurs capacités de reproduction aux exigences de confort et de perpétuation d'une société bien décidée à tout leur devoir. Peu importe que ce soit là sacrifier à jamais les caractères spécifiques d'un peuple, d'une culture et d'une civilisation qui compta parmi les plus brillantes et les plus aimables que la terre ait portées. Peu importe que ce soit là, de toute évidence, et comme l'actualité le montre tous les jours, hélas, détruire la paix civile et achever de détériorer l'environnement. Rien n'y fait : il faut à toute force, pour les Amis du désastre rejoints sur ce point par M. Sarkozy, que nous soyons toujours plus nombreux. Et si ce "nous" toujours plus nombreux qu'on exige doit être de moins en moins "nous", aucune importance : M. Rivière [3]sera content, au contraire, et avec lui tous les tenants pleneliens du métissage universel et de l'immersion joyeuse dans le grand tout.

Le parti de l'In-nocence a beau être composé d'individus fort attachés à leur individualité, il est très attaché au "nous", qu'il voit comme un garant, pour notre peuple, de son individualité parmi les peuples - ou de ce qui reste d'elle, hélas. Et lui ne croit pas du tout que nous devions être toujours plus nombreux - c'est-à-dire, répétons-le, de moins en moins "nous". Il aurait même tendance à croire précisément le contraire. Vive le vieillissement, juge-t-il, si du vieillissement doivent nous échoir un peu plus d'air, un peu plus d'espace, un peu plus de civilisation et de mémoire, un peu moins de laideur, de mal-vivre et de brutalité.

Les expulsions par charter auxquelles procède un ministre qui d'autre part juge que davantage d'immigration est souhaitable, désirable, indispensable, inévitable, on conçoit que nous ayons hésité, et doublement, à nous en féliciter. Nous l'avons fait tout de même, parce que ce geste-là au moins, du point de vue du pays et du peuple, n'allait pas dans le mauvais sens. Nous ne sommes pas devenus sarkoziens pour autant. Comme nous ne sommes pas non plus lepénistes, nous avançons sur un chemin étroit. L'in-nocence est une longue marche.

1 «Ne voit-on pas comme est terrible ce notre ? Qu'est-ce que c'est que ce sujet collectif ? Qu'est-ce que c'est que cet autre moi-même qui se définirait par une identité perpétuée de siècle en siècle, et au nom de laquelle je parlerais?» Jean-Loup Rivière, "Le délire raciste de Renaud Camus", Libération, juin 2000, cité et commenté dans Du sens, pp. 349 sq.

2 Sauf si elle est âgée, nous allons le rappeler.

3 Cf. ci dessus, note 1.