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Éditorial n° 44, 16 août 2006

Pire que le mal

(Deux remèdes impossibles)

 

À ceux de nos compatriotes que désespère la situation de notre pays et de notre peuple, parce qu'ils voient ce qui fut une des grandes civilisations de la terre bien près de disparaître de sa surface; parce qu'ils constatent que l'une des plus hautes cultures que la suite des siècles ait connues pourrait bien ne laisser de traces qu'au fond des bibliothèques  et des musées (si tant est qu'en la déculturation générale il y ait encore longtemps des bibliothèques, et que les musées soient autre chose que des centres de loisir entés de galeries marchandes) ; parce qu'ils s'avisent que le peuple français, ou du moins ce que naguère encore on appelait de la sorte, pourrait bien devenir un peuple sans État, comme les Tibétains ou les Kurdes,  et peut-être un peuple soumis ; à ceux-là, dans leur désolation, deux remèdes paraissent se proposer.

Le premier de ces remèdes est de faire beaucoup d'enfants, et d'inciter nos compatriotes à faire de même. Ceux qui voient le peuple français à deux doigts de se noyer dans l'indifférenciation générale et dans le métissage universel, ceux-là, s'ils déplorent ce qu'ils voient, se disent que la première et la meilleure façon de résister à cette pente, où nous sommes déjà si gravement engagés, c'est la natalité et c'est une politique résolument nataliste. L'appel du vide, tel serait, selon eux, ce qui précipiterait vers la France une si forte immigration.

L'ennui est qu'il n'y a pas de vide. Ce qui fut le vide, la campagne, l'espace, la montagne, la nature, est aujourd'hui de toute part traversé, circonscrit, aménagé, viabilisé, rentabilisé, loti, urbanisé, banlocalisé, commercialisé, remonte-pentisé, exploité par tous les bouts. Je tiens même, pour ma part, que l'absence de vide, sa disparition, son aménagement (s'agissant du vide c'est une seule et même chose), sont une des plus graves catastrophes écologiques, bien sûr, mais aussi esthétiques, spirituelles et morales qui nous guettent et déjà nous affligent : cela au niveau de la planète, de toute évidence, et pareillement au niveau de notre pays.

Un monde sans vide est un monde sans échappatoire, sans liberté, sans retrait possible, sans relâche, sans refuge pour l'être, sans détour, sans médiation, sans forme, sans silence, sans nuit, sans individus ni individualités et, dirais-je au risque d'être obscène, sans poésie. C'est un monde de la violence et de la promiscuité, où la vie ni la personne ne sont rien, où la parole ne compte pas, parce que tout et tout le monde est remplaçable. Il faut toujours y faire son deuil, car le deuil n'y est jamais naturel étant donné, chose horrible à dire et bien davantage à vivre, que rien ne s'y perd, ni personne. Les hommes et les femmes y sont comme les peuples : interchangeables. Plus assez d'Espagnols, dites-vous ? Aucune importance, il n'y a qu'à mettre à la place des Marocains, des Maliens, des Philippins, ce sera la même chose - quitte à les appeler "Espagnols" si on y tient.

La terre n'en peut plus de l'homme. La population de la planète a doublé dans le dernier demi-siècle. Celle de la France a fait de même depuis un peu plus d'un siècle. Des démographes, des statisticiens et des économistes en délire appellent à toujours plus d'enfants et toujours plus de bras, plus d'"actifs", comme ils disent, parce qu'ils se sont mis dans la tête que croissance démographique et croissance économique vont de pair. Si tant que ce soit vrai, ce ne l'est que très superficiellement, et à court terme. À partir d'un certain seuil, qui presque partout a été atteint et dépassé depuis longtemps, la croissance démographique est ruineuse pour la planète et ruineuse pour les États qui en sont les victimes. Nombre des pays les plus riches et les plus développés, la Suède, la Norvège, le Canada, les États-Unis eux-mêmes, comptent parmi ceux où la densité de la population est la plus basse. Dans leurs profondeurs les peuples les plus avancés le savent bien, qui tous, malgré les objurgations de savants fous et de médias psittacistes, ont entrepris une radicale ou progressive désinflation démographique dont les premiers résultats se font sentir en Allemagne ou en Italie - pays qui peuvent espérer à plus ou moins long terme une diminution de leur population globale - et se feraient sentir même en France s'ils n'étaient contredits et même réduits à  néant par la continuelle immigration.

Le temps est proche où la plus grande des richesses sera l'espace. De même que trop d'impôt tue l'impôt, trop d'homme tue l'homme en l'homme et déshumanise les rapports sociaux. La promiscuité fait naître la violence, le combat de tous contre chacun, la lutte à tous les instants pour la place, pour les biens de consommation, pour le plaisir, le prestige, la "visibilité". Dans la banlieue généralisée c'est à qui, après le plus profond raclement guttural, crachera le plus bruyamment et le plus près de l'autre, et le fera plus vite descendre du trottoir. Et s'il résiste c'est la guerre, les coups, parfois la mort.

On conçoit que le trottoir soit si fort disputé, puisqu'en dehors de lui il n'y a que le caniveau,  dès lors qu'il n'y a plus de campagne, plus de montagne, plus de bord de mer, plus de jardins, plus d'espace perdu, plus de silence, plus de nuit, plus de rien, rien que de la banlieue partout et de la banlieue de banlieue, avec ses lotissements qui sont le lotissement du monde, ses centres commerciaux qui sont le centre du monde, son agriculture industrialisée, ses hangars, ses parcs de loisirs, ses cimetières de voitures.

Toute culture (comme toute écologie, et c'est entre elles un lien puissant) est répudiation de la quantité pure. Elle dit : le nombre en soi n'est rien, c'est la qualité des intelligences, des oeuvres, des âmes, des réflexions, des matériaux et des consciences qui compte. Ce n'est pas le nombre des humains qui fait l'humanité, et les humanités moins encore. C'est la pensée, c'est la détermination et c'est la force morale. Même la force militaire semble aujourd'hui indépendante du nombre, ainsi que le montre l'État d'Israël.

En exhortant les Français à croître et multiplier, ceux qui pensent lutter par ce moyen pour la préservation de  l'identité nationale font doublement un faux calcul, qui se retourne contre eux (et contre nous). D'une part ils poussent à la création d'un type de société - jeuniste et violent, vandale et massifié, méprisant à l'égard de l'individu, méprisant ou hostile à l'égard de la connaissance, de la réflexion, de l'âge, de l'héritage culturel -, qui est par excellence, ce genre de société, celui du monde indifférencié qu'ils prétendent combattre ; et qui est aussi, la plupart du temps, celui-là même que fuient les immigrants venus chez nous et celui que, par leur afflux, ils tendent à reconstituer à l'identique dans notre pays. D'autre part, et plus ironiquement, ceux qui soutiennent ou préconisent les politiques natalistes avec l'espoir de contribuer ainsi à la défense des caractères spécifiques du peuple français oeuvrent en fait, à leur corps défendant, pour le résultat exactement inverse, puisque ces politiques sont et ont été de longue date l'un des plus puissants incitatifs qui soient à l'immigration de masse.

En effet les nations occidentales développées se sont laissées ficeler, enserrer, enchaîner, ligoter et laocooniser, sans bien s'en rendre compte, et sans que leurs citoyens, surtout, en aient eu le moins du monde conscience, dans un hallucinant enchevêtrement de contraintes juridiques qui pratiquement n'ont d'effet contraignant que sur elles, et dont l'une des principales conséquences est qu'elles ne peuvent pas traiter différemment, sur leur propre territoire, leurs propres ressortissants et les autres - ce qui a pour effet, au demeurant, de vider la citoyenneté de tout contenu. Les populations des autres continents n'en reviennent pas d'apprendre qu'il est en Europe des pays, et notamment la France, où l'on est - disons le mot, car c'est à peu près ce qu'elles comprennent, et elles n'ont pas tort - payé pour faire des enfants, et plus on en fait plus on est payé, en allocations directes d'une part mais aussi en autres avantages de toute sorte. Et ces populations lointaines sont bien plus surprises encore de se voir révéler que ce système merveilleux n'est en aucune façon réservé par la France (qui n'en aurait pas le droit) aux citoyens français, mais que tout le monde peut-on bénéficier, à condition d'avoir un permis de séjour, et encore n'est-ce pas strictement indispensable, bien loin de là : faire des enfants sur place, au contraire, peut grandement faciliter l'obtention de documents administratifs et ouvre déjà, en soi, de nombreux droits, ne serait-ce que pour les enfants eux-mêmes, pour commencer. Comment ces populations ne rêveraient-elles pas d'accourir vers pareil inimaginable Eldorado, et tout spécialement lorsque leurs traditions culturelles, religieuses et familiales, les portent à des fratries de huit, dix, douze, quand ce n'est pas quinze ou vingt enfants ? Quitte à avoir de toute façon des progénitures de pareille ampleur, mieux vaut, indubitablement, tâcher de pourvoir à leurs besoins en France plutôt qu'en Algérie, au Togo, au Mali ou au Burkina-Fasso.

J'ouvre ici une petite parenthèse qui n'a pas directement de rapport, mais tout de même un peu, avec notre sujet. Les politiques natalistes - par quoi j'entends ici l'ensemble des dispositifs législatifs et réglementaires qui tendent à encourager les couples hétérosexuels en âge de procréer, et peut-être même les autres, à le faire, ou en tout cas à élever le plus grand nombre possible d'enfants - n'ont pas seulement pour conséquence, même si c'est la plus importante, d'encourager et d'accélérer et d'augmenter l'immigration, et donc de réduire toujours davantage, en proportion, au sein de la population de la France, le poids des Français d'origine française, qui bientôt seront minoritaires dans leur propre pays, comme leurs enfants le sont déjà dans leurs écoles, très souvent, et comme les Tibétains le sont maintenant au Tibet du fait de l'installation massive de colons chinois. Ces politiques ont cet autre effet, moins visible, de réduire toujours davantage, en proportion, au sein de la population de la France, le nombre des enfants des familles aisées. En effet, avec un tel système, plus on est pauvre et plus il est rémunérateur d'avoir des enfants, et si possible en grand ou en très grand nombre, donc ; plus on est riche, en revanche, et plus le train de vie en est défavorablement affecté. Je pense par exemple aux femmes qui travaillent, c'est-à-dire, aujourd'hui, la grande majorité des femmes. Celles qui ont de très bas salaires en arrivent rapidement à toucher des sommes plus importantes en leur qualité de mères qu'en tant que salariée. Pour celles qui ont des salaires élevés, au contraire, la maternité est ruineuse, parce que nombre des aides de l'État et des institutions ne sont pas proportionnelles aux revenus. On dira que ce deuxième phénomène n'est pas très grave en soi. On pourra même estimer qu'il n'est que justice - justice distributive, en l'occurrence. Il faut néanmoins considérer que, si la classe aisée n'a jamais coïncidé avec la classe cultivée, bien entendu, c'est néanmoins en son sein, traditionnellement, que se recrutait la plus grande part de celle-ci.

Pour se résumer en tournant les choses un peu brutalement mais d'une façon qui n'est pas inexacte, je crois (la réalité est brutale, hélas), on peut à peu près dire que les politiques natalistes  ont pour effet, premièrement,  de réduire en proportion, au sein de la population de la France, le poids des Français d'origine française, et, deuxièmement, de réduire en proportion le poids des représentants héréditaires de la classe cultivée - disons des "héritiers", qui sont qu'on le veuille ou non (et en général on ne le veut pas, mais on n'a guère le choix),  les instruments de transmission les plus "naturels" et les moins dispensables de la culture (pour une société). Avec ceux-là une partie du travail est déjà faite, ou se fait toute seule par le simple contact avec des parents et avec un environnement social cultivé. Avec les autres, à chaque génération, il faut tout entreprendre à partir de rien. Et ce n'est pas seulement dans les salles de classe et les amphithéâtres qu'il en va ainsi, c'est partout où se joue la civilisation - laquelle est une affaire qui par définition concerne plusieurs générations, et a beaucoup à voir, faut-il le rappeler avec la transmission.

La France est comme une vielle fille de bonne famille que les circonstances ont réduite à remplir des fonctions d'institutrice auprès de familles étrangères. Elle élève les enfants des autres. Ils ont d'autant moins de raison, pour la plupart, de s'intéresser à ce qu'elle veut leur apprendre qu'ils sont eux-mêmes, souvent, les héritiers d'autres patrimoines et d'autres traditions, et qu'ils sont en tel nombre en cette situation-là, dans les classes de notre vieille fille, qu'ils ne voient pas très bien pourquoi ne pas  demeurer dans leur propre culture, qu'ils ont l'occasion, dans leur vie quotidienne et dans leur environnement ordinaire, en France même, de partager plus que la sienne. À propos d'un tel état de fait, parler d'une très grave menace pour la civilisation et pour l'identité nationales est très insuffisant : il s'agit de bien plus que d'une menace, il s'agit d'une atteinte déjà bien près d'être fatale.

Il va sans dire au demeurant - sans compter que je l'ai déjà beaucoup dit - que les deux phénomènes que j'évoquais à l'instant, effacement de la classe cultivée  et dilution de la culture et du peuple français au sein de l'universel indifférencié, sont étroitement liés : il fallait la quasi-disparition de la classe cultivée (quasi-disparition dont les politiques natalistes ne sont bien sûr qu'un facteur tout à fait secondaire, loin derrière l'(in-)enseignement de masse, l'imbécillisation médiatique et l'impôt, spécialement l'impôt sur les successions) pour que soit possible le remplacement d'un peuple par un ou plusieurs autres (remplacement, en revanche, dont les politiques natalistes, cette fois, sont un moteur capital).

*

Le premier des remèdes impossibles à la disparition en cours de la culture, de la civilisation et du peuple français, c'est donc le développement démographique ; le deuxième c'est Jean-Marie Le Pen.

On voit bien, on ne voit que trop, quel désespoir peut pousser vers lui et vers son parti : ne sont-ce pas eux qui les premiers, et, aujourd'hui encore, presque les seuls, se sont montrés résolument adverses à l'immigration et à sa poursuite, laquelle n'est qu'une massive importation de malheur, de malheur passé et de malheur à venir, le malheur en amont des immigrés et le malheur en aval d'une société libanisée? Ç'aura précisément été la grande chance des immigrationnistes de n'avoir en face d'eux, pour s'opposer à leur menées actives ou passives, que  Jean-Marie Le Pen, c'est-à-dire un homme auquel la majorité des Français, même parmi ceux qui partageaient nombre de ses constats et adhéraient à une grande partie de son programme, ne pouvaient en aucune façon se rallier. Les plenelliens et autres champions du métissage généralisé et du village universels lui doivent énormément, comme un François Mitterrand avant eux. Ce tigre de papier tenait à merveille pour eux, et sans danger pour leurs entreprises, un emploi qui, confié à un adversaire plus honorable et présentable, eût pu changer le cours de l'histoire. Sauf peut-être en 2002, Le Pen a toujours été une bénédiction pour la gauche.

Ceux qui croient de bonne foi avoir de leur côté toute la morale, toute la bonté, toute la sagesse et la générosité du monde (moyennant quoi ils nous préparent un enfer, dont les appartements-témoins sont des quartiers entiers, si ce n'est des départements…), ceux-là pourraient objecter ici que si certaines idées ont un champion impossible, c'est qu'elles sont elles-mêmes impossibles ; que Le Pen n'est pas un hasard ; que pour soutenir celles des vues qu'il soutient qui ont notre approbation (grosso modo : qu'il faut de toute urgence mettre un terme à l'immigration), il ne pouvait y avoir qu'un homme comme lui. Mais cette opinion-là et cette façon de voir appartiennent tout entier au système de pensée qui nous opprime, à savoir cet antiracisme dogmatique que j'ai appelé ailleurs, à la suite d'Aain Finkielkraut, "le communisme du XXIe siècle". Ainsi, au temps de la répression sexuelle, pleine de bonne conscience, déjà, et qui elle aussi se prenait pour le tout de la morale et pour le dernier mot de la vertu, pour la vertu même, ainsi ses champions avaient-ils beau jeu de montrer qu'il n'y avaient, pour répudier leurs convictions puritaines, que des femmes perdues et des hommes n'ayant rien à perdre, des prostituées (professionnelles ou non) et des maudits.  C'était vrai. Et pourtant les vertueux zélateurs de la répression avaient tort sur le fond. La liberté sexuelle des parias de la société n'a été vraiment liberté que du moment où les parias n'ont plus été seuls à y prétendre. La critique de l'antiracisme dogmatique instituée n'aura de portée véritable que dès lors qu'elle ne sera pas laissée aux seuls racistes. Abandonné au seul Le Pen, le combat contre l'immigration de masse perd ses dernières chances d'aboutir, puisque nous sommes des millions à refuser de nous joindre à cet homme-là - il n'en est pas question.

Je rappelle en effet qu'il ne s'agit pas seulement d'essayer de sauver ce qui peut l'être encore d'un territoire, mais aussi d'une culture, d'une civilisation, de l'âme et de l'esprit d'un peuple. Or qui pourrait croire une seule seconde que cette âme, cet esprit, cette culture, cette civilisation, puissent être associés à pareil personnage, et lui devoir quoi que ce soit ? Nous connaissons trop bien, tous, ses calamiteux jeux de mots pour qu'à l'esprit nous puissions un instant songer dans la même pensée qu'à lui. Nous savons trop ses complaisances pour ce qu'il y a de plus triste dans l'histoire nationale, ses ambiguïtés à propos de ce qu'il y a de plus atroce dans les annales de l'humanité, ses provocations trop souvent répétées pour être accidentelles au sujet de ce qui, entre tous les sujets, devrait le moins servir à de grossiers exercices de voltige sémantique et de prestidigitation verbale, pour pouvoir mettre en lui quelque espoir que ce soit, et pour consentir à nous ranger jamais sous ses bannières souillées. Jean-Marie Le Pen est bien loin d'avoir toujours tort, Jean-Marie Le Pen est peut-être même, hélas, l'homme politique français des trente dernières années qui, globalement, a eu le plus souvent raison ; mais Jean-Marie Le Pen, comme le Nuno de La Légende des Siècles, dont il n'a certes pas l'innocence, n'est pas possible. Il met d'ailleurs beaucoup d'obstination à nous le rappeler plusieurs fois par an, et à décourager de frais, tous les trimestres au moins, ceux qui par désespoir, encore une fois, seraient tentés de se dire qu'après tout - non, même après tout, même par désespoir…

Alors ?

Philippe de Villiers ne m'inspire aucune espèce d'enthousiasme, et cela pour toute sorte de raisons, l'une d'entre elles étant que c'est un ardent champion de la famille, à ma connaissance, autant dire de la natalité, du natalisme et du développement démographique, que je crois désastreux pour la planète et catastrophique pour notre pays - nous n'allons pas repartir là-dessus. En faveur de Philippe de Villiers, ou en sa non-défaveur, on peut tout de même dire ceci, qui n'est pas beaucoup mais qui, en de certaines circonstances, serait tout de même d'un grand poids : il n'est pas impossible. Il ne me vient pas facilement de dire qu'il est possible  mais je n'hésiterais pas à dire ceci, qu'il n'est pas impossible.

Bien entendu tous les champions du métissage universel, de l'ouverture des frontières, du droit de l'homme à la France, de l'immigration choisie ou de l'immigration désirée, tous ceux-là nous dirons et nous disent déjà que c'est précisément ce qu'il est : impossible. Ils nous ont déjà fait le coup avec Jean-Marie Le Pen - et il n'y avait alors aucune résistance à leur opposer parce que, pour notre malchance et celle de notre pays, ils avaient raison. Mais ils ne réussiront pas la même opération avec Philippe de Villiers. Philippe de Villiers n'a aucun lien rétrospectif avec Vichy, aucun lien avec la collaboration, aucun lien, c'est même encore trop d'avoir à le dire, avec le révisionnisme ou le négationnisme, pas une ombre de complaisance à leur égard. En revanche il a des liens étroits avec la Résistance, le gaullisme, le combat pour l'indépendance et la liberté de la patrie. Il a aussi des liens avec la culture, même s'ils ne sont pas tout ce que nous pourrions désirer, et si la culture qu'il promeut, qu'il a promu, n'est pas forcément la plus chère à notre coeur, ni le tout, Dieu merci, de ce que nous appelons culture. Il n'y a sans doute pas de très puissantes raisons de voter pour Philippe de Villiers ; mais il n'y a absolument pas de raison, si la défense de l'identité française n'a pas de représentant qui nous semble préférable, ou qui nous inspire plus d'immédiate sympathie, de ne pas voter pour lui.

Maintenant, bien sûr, si d'autres personnalités qui nous paraissent plus proches, non seulement de nos idées, mais de nos goûts, de notre esprit, de notre conception de la Cité, acceptaient nos suffrages, nous les leur apporterions avec enthousiasme. Le parti de l'In-nocence a avancé le nom d'Alain Finkielkraut, sans recevoir d'écho, pas même du principal intéressé. La démarche en témoignait, nous ne demandons pas nécessairement un homme politique. L'élection présidentielle de 2007 représentant sans doute la dernière chance, pour la civilisation française, pour le peuple français, pour la nation française, de sauver ce qu'ils ont d'unique, d'absolument spécifique, de proprement français et, à ce titre, de précieux entre tout, l'urgence et la gravité des enjeux nous inciteraient à nous rallier à quiconque se trouverait en mesure de constituer un symbole, un emblème, un drapeau, quitte pour nous à sacrifier un peu de notre attachement aux institutions de la Cinquième République, et par exemple à ne pas exiger, pour cette fois, un président ou une présidente qui détermine vraiment au jour le jour  la conduite générale des affaires du pays. Serait bien sûr l'idéal quelqu'un qui, étant à même de constituer ce symbole, voudrait et pourrait aussi, de par son expérience, son désir, son état de santé, son âge, tenir véritablement le rôle de président de la République tel que le prévoit la Constitution.  Mais,  à défaut, serait déjà infiniment précieux, dans la conjoncture tragique où nous sommes, un homme ou une femme d'une personnalité et d'un renom tels que leur seule élection, ou même seulement le nombre de voix qui se seraient portées sur eux, auraient de façon retentissante le sens d'une résistance au sort, et au prétendu sens de l'histoire : et cela même s'il n'était pas question que pareil personnage, une fois désigné, conduise effectivement la politique du pays.

Sans doute serait-ce là fausser, il faut le reconnaître, l'esprit des institutions ;  mais ce serait pour mieux les sauver, et sauver avec elles beaucoup plus que leur lettre. Je pense à un Claude Lévi-Strauss, à une Jacqueline de Romilly, dont le choix comme figure de proue aurait en outre l'avantage de souffleter ce plus impuni et ce plus répandu des racismes en action parmi nous, le racisme à l'égard de l'âge ; ou bien à ce prestigieux mathématicien, Laurent Lafforgue, médaille Field, et qui s'est si courageusement distingué, à l'automne dernier, par les lances qu'il a rompues en faveur d'un restauration radicale et urgente de notre système éducatif en perdition. Des personnalités de cet ordre - celles-là ou d'autres - ne gouverneraient pas ? La belle affaire ! Le seul fait que l'une ou l'autre ait été choisie suffirait à montrer qu'il y a dans notre peuple une volonté vraie de s'opposer à son effacement, et à celui de sa culture. Ceux qui gouverneraient alors seraient contraints de tenir compte de cet avertissement.

J'expédie en fin de revue ma propre candidature, qui - la gloire ou la très grande notoriété en moins - va dans la même direction que celles que j'évoquais à l'instant à titre virtuel, et participe du même geste désespéré. Les gestes désespérés sont souvent marqués du sceau de l'étrangeté et presque de la folie. Il en est de suicidaires, comme de pousser au développement démographique ou d'appeler à voter pour Jean-Marie Le Pen. Il en est d'autre dont tout le mérite est celui du cri, et qui relèvent du rien à perdre, fors l'honneur.