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Tant qu'il y aura des hommes

Envoyé par Alain Eytan 
25 février 2023, 22:04   Tant qu'il y aura des hommes
Un point de vue sensiblement différent et intéressant sur V. V. Poutine, écrit c. 2010, de la part d'un écrivain (Emmanuel Carrère) n'appartenant pas, apparemment, au BD commun (Bloc de Droite (celui qui condense en aggloméré et si caricaturalement anti-américanisme, anti-européisme, anti-occidentalisme, anti-libéralisme, antivax, anti-LGBTQWXYZ, anti-beautiful people en general, anti-progressisme, etc.)), et qui sert pratiquement de conclusion à son livre, Limonov.


« Pour la campagne électorale de 2000, on a publié un livre d’entretiens avec Poutine intitulé À la
première personne
. Titre probablement trouvé par un quelconque communicant, mais bien trouvé. Il
pourrait s’appliquer à toute l’œuvre de Limonov et à une partie de la mienne. À propos de Poutine, il
n’est pas usurpé. On dit qu’il parle en langue de bois : ce n’est pas vrai. Il fait ce qu’il dit, il dit ce
qu’il fait, quand il ment c’est avec une telle effronterie que personne ne peut être dupe. Si on examine
sa vie, on a la troublante impression d’être devant un double d’Édouard. Il est né, dix ans plus tard
que lui, dans le même genre de famille : père sous-officier, mère femme de ménage, tout ce monde
s’entassant dans une chambre de kommunalka. Petit garçon chétif et farouche, il a grandi dans le culte
de la patrie, de la Grande Guerre patriotique, du KGB et de la frousse qu’il inspire aux couilles
molles d’Occident. Adolescent, il a été, selon ses propres mots, une petite frappe. Ce qui l’a
empêché de tourner voyou, c’est le judo, à quoi il s’est adonné avec une telle intensité que ses
camarades se rappellent les hurlements féroces sortant du gymnase où il s’entraînait, seul, ledimanche. Il a intégré les organes par romantisme, parce que des hommes d’élite, par qui il était fier
d’être adoubé, y défendaient leur patrie. Il s’est méfié de la perestroïka, il a détesté que des
masochistes ou des agents de la CIA fassent tout un fromage du Goulag et des crimes de Staline, et
non seulement il a vécu la fin de l’Empire comme la plus grande catastrophe du XXe siècle, mais il
l’affirme encore sans ambages aujourd’hui. Dans le chaos des premières années quatre-vingt-dix, il
s’est retrouvé parmi les perdants, les floués, réduit à conduire un taxi. Arrivé au pouvoir, il aime,
comme Édouard, se faire photographier torse nu, musclé, en pantalon de treillis, avec un poignard de
commando à la ceinture. Comme Édouard, il est froid et rusé, il sait que l’homme est un loup pour
l’homme, il ne croit qu’au droit du plus fort, au relativisme absolu des valeurs, et il préfère faire peur
qu’avoir peur. Comme Édouard, il méprise les pleurards qui jugent sacrée la vie humaine.
L’équipage du sous-marin Koursk peut mettre huit jours à crever d’asphyxie au fond de la mer de
Barants, les forces spéciales russes peuvent gazer 150 otages au théâtre de la Doubrovka
et 350 enfants être massacrés à l’école de Beslan, Vladimir Vladimirovitch donne au peuple des
nouvelles de sa chienne qui a mis bas. La portée va bien, tète bien : il faut voir le bon côté des
choses.
La différence avec Édouard, c’est que lui a réussi. Il est le patron. Il peut ordonner que les manuels
scolaires arrêtent de dire du mal de Staline, mettre au pas les ONG et les belles âmes de l’opposition
libérale. Il s’incline, pour la forme, sur la tombe de Sakharov, mais garde sur son bureau, visible par
tous, le buste de Dzerjinski. Quand l’Europe le provoque en reconnaissant l’indépendance du
Kosovo, il dit : "Comme vous voudrez, mais alors l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie aussi, elles vont
être indépendantes, la Géorgie on va lui envoyer des chars, et si vous ne nous parlez pas gentiment on
vous coupera le robinet du gaz."
Ces façons viriles, s’il était de bonne foi, devraient épater Édouard. Au lieu de quoi il écrit,
comme Anna Politkovskaïa, des pamphlets expliquant que Poutine est non seulement un tyran, mais un
tyran falot et médiocre, à qui est échu un habit trop large pour lui. La fausseté de cette opinion me
semble criante. Je pense que Poutine est un homme d’État de grande envergure et que sa popularité ne
tient pas seulement à ce que les gens sont décervelés par des médias aux ordres. Il y a autre chose.
Poutine répète sur tous les tons quelque chose que les Russes ont absolument besoin d’entendre et qui
peut se résumer ainsi : « On n’a pas le droit de dire à 150 millions de personnes que soixante-dix ans
de leur vie, de la vie de leurs parents et de leurs grands-parents, que ce à quoi ils ont cru, ce pour
quoi ils se sont battus et sacrifiés, l’air même qu’ils respiraient, tout cela était de la merde." »


(Oui, enfin, nonobstant le sentiment pro-russe si facilement effarouché, la vérité veut s'arroger tous les droits...)
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